mardi 15 mai 2018

Note de lecture






Idées reçues sur les Pieds-Noirs

Par Jean-Jacques JORDI

Edit. Le Cavalier Bleu


 

1962 a été une rupture sociologique et politique dans la vie française. Un drame individuel et collectif. La guerre d'Algérie qui prenait fin a profondément marqué ceux qui l'ont vécue, ceux qui y ont participé et ceux qui ont été au cœur de la confrontation, que ce soit d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée. Souffrances, rancœurs, haines, plaies difficiles voire impossibles à refermer. Incompréhensions entre ceux qu'on a appelés les rapatriés et les "métros". Les différences d'habitudes de vie surprennent et parfois choquent. Incompétence et cécité des autorités. Les suspicions réciproques sont à l'ordre du jour. Les intellectuels seront parfois aveuglés, déboussolés. Camus en premier qui décidera de se taire, condamné par tous les camps "Je suis déchiré, voilà la vérité" écrit-t-il en février 56. Un demi-siècle plus tard, les passions (pas toutes) se sont apaisées, mais ce qui a été mis sous le tapis demeure.
Qui connait mieux la forêt du bûcheron ou du géographe? Le bûcheron connait l'arbre mais mal la forêt, tandis que le géographe connait bien la forêt mais mal l'arbre.
Jean-Jacques JORDI est universitaire, historien, il est également "Pied-noir". Il est par conséquent à même, du moins on peut le penser, de voir le détail et l'ensemble et d'adopter une posture sinon objective du moins distanciée.
Ce petit ouvrage, se veut loin des aprioris et des idées toutes faites ce qui est louable. Mais Jordi sort de son rôle d'historien en nous assénant sa vérité, sans vouloir comprendre la raison de l'Autre et la réalité du temps. Il y a des raisons que la raison ignore.



A lire on a l'impression que "la Mère Patrie" a manqué à ses devoirs envers ses enfants rapatriés. Il faut relativiser le propos en rappelant que dans la période la métropole a dû accueillir et intégrer (sans doute pas aussi bien qu'il aurait fallu) 1 million de personnes, les loger, leur trouver du travail, scolariser les jeunes (le pourrait-on aujourd'hui mieux qu'hier?). Sans parler du prix du sang, 1 750 000 militaires dont 1 343 000 appelés ou rappelés ont participé à la guerre sans en comprendre la raison ni les enjeux. Certains y ont laissé leur vie, d'autres y ont été blessés, traumatisés par ce qu'ils ont vu, fait ou subit. Sans doute n'était-ce pas suffisant?



Les français d'Algérie ont été des victimes c'est indéniable. Déracinement, douleur, pertes morales et matérielles extrêmes ont été leur lot, mais là-bas qui a été épargné? Et si l'auteur déplore le "fossé d'incompréhension (qui) se creuse et perdure entre les métropolitains et les Pieds-Noirs quant à leur action en Algérie" je n'imagine pas que ce livre soit susceptible, hélas, d'aider à le combler.

Parler n'abolit pas le traumatisme, mais aide à la résilience et entrouvre la piste des réconciliations, encore faudrait-il que le discours ne ressemble pas à un procès dont on ne connaitrait que le réquisitoire. On aurait aimé davantage de distance. Et moins de parti pris. Dommage.



Ce livre très documenté qui nous rappelle ce que fut cette tragédie est à lire au second degré, davantage comme un manifeste que comme un traité d'histoire. Mais peut-on écrire sur le sujet sans se laisser emporter par les émotions et la passion. Il est sans doute encore trop tôt.

Dans sa conclusion Jean-Jacques JORDI cite Camus: " L'homme n'est pas entièrement coupable: il n'a pas commencé l'histoire. Ni tout à fait innocent puisqu'il la continue." À méditer.
                                      



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