mardi 28 janvier 2020

"Les gueules noires"



Chaque époque connait ses conflits sociaux qui occupent un temps le devant de la scène, se résolvent plus ou moins bien et puis la mémoire s'évanouie.

Alors qui se souvient de la grève des mineurs de 1963 ? Pourtant ce fut à l'époque un événement national et qui a profondément marqué de ceux qui l'ont vécue. 34 jours de grève dure.

Petit rappel des faits. Depuis la fin de la guerre dans les mines de charbons on avait travaillé sans relâche et mis les " bouchées doubles". Il fallait redresser l'économie nationale. Le charbon n'avait pas encore été supplanté par le pétrole. La guerre d'Algérie venait de se terminer et chacun aspirait à vivre mieux. Le niveau de vie augmentait et avec lui l'inflation.

Les 200 000 mineurs représentent la première profession du pays et jouissent d'une image très positive dans le pays. "Germinal" d'Emile Zola et les grandes tragédies de la mine du début de siècle ont marqué l'imaginaire des français. Ils ont la réputation d'hommes courageux, solides, durs à la tâche, généreux, fiers de leur travail et de leurs traditions. Cependant ils sont les grands oubliés de l'embellie économique. Dès début janvier le syndicat CFTC décide d'un mouvement de grève illimité. Il n'est pas soutenu par un autre syndicat la CGT majoritaire chez les mineurs, appuyé par le PCF. La raison invoquée est qu'il ne faut pas braquer l'opinion publique. L'hiver 62-63 est terrible et à l'époque tout le monde ou presque se chauffe au charbon.

La grève dans les charbonnages débutera alors le 1er mars. Nous sommes un vendredi. De Gaulle est parti à Colombey. Il apprend la nouvelle le samedi. Peu accoutumé à la gestion des crises sociales il réagit le jour même comme souvent à son habitude par une décision aussi rapide qu'autoritaire. Il signe un ordre de réquisition des mineurs. Ça fait l'effet d'une bombe ! Dès le lundi, la Lorraine puis le Nord-Pas-de Calais refusent de se soumettre bientôt rejoints par les mines du Midi, Alès, Carmaux, Decazeville. L'ensemble des charbonnages est paralysé et très rapidement la quasi-totalité de l'industrie dépendant de la houille.

Mais qui dit grève dit également perte de salaire. Les gueules noires, (comme ils se nomment eux- même) et leur famille se retrouvent vite sans ressource et il faut manger chaque jour. À la fin de l'hiver, les potagers individuels ne produisent que quelques poireaux et carottes. Il y a bien des lapins et des poules, mais ça ne va pas loin ! Rapidement les caisses d'entraides des syndicats entrent en action, distributions de pain, de lait. La solidarité traditionnelle des bassins miniers se met en place, les commerçants font crédit, les maires offrent des repas gratuits pour les enfants dans les cantines scolaires.


Mais rapidement la chose prend une tournure internationale et politique. L'URSS, la Tchécoslovaquie et la Pologne débloquent des fonds. Rien de très surprenant de la part de pays communistes du bloc de l'Est. Mais de l'argent arrive aussi en provenance du Vietnam, du Pérou ou du Chili, de Hollande et même d'Allemagne (1)... Des vivres arrivent de toute l'Europe. La France se mobilise, des collectes ont lieu partout. Un jeune artiste de passage à Decazeville un certain Johnny Hallyday, offre le cachet de son concert aux grévistes. Au début de la quatrième semaine de grève, pour soulager les familles, le Parti communiste lance un appel pour accueillir les enfants du bassin minier dans des familles d'accueil pendant les vacances de Pâques. Ce ne sont pas moins de 23 000 enfants qui s'extraient de l'angoisse de l'assiette vide pendant deux semaines. En Aveyron département plutôt conservateur on n'hésite pas à accueillir des enfants de Decazeville et de Carmaux. Ce n'était pas toujours dénué d'arrières pensées, dans certaines fermes on y voyait une main d'œuvre supplémentaire. Et puis il y avait aussi les idées "éducatives"… leur montrer la vrai croyance et les arracher à la religion de Moscou. Mais finalement tout cela restait d'agréables vacances à la campagne pour ces gamins des corons.

Quand les vacances se terminent début avril, les mineurs ont gagné sur toute la ligne : +10 % de salaire, une semaine annuelle de congés payés supplémentaire.


Un film d'époque: https://youtu.be/XsP_0yb-uhg


(1) la solidarité était très forte entre mineurs, plus forte que les vieilles rancœurs. Voir la catastrophe de Courrières en 1906 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catastrophe_de_Courri%C3%A8res

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