vendredi 24 juin 2022

Provence terre de cinéma (4)

 Deux cinéastes indissociables de la Provence: Marcel Pagnol et Robert Guédigian.


Deux époques, l'un nait quand l'autre met un terme à sa carrière cinématographique. Pourtant il y a des liens artistiques entre eux comme nous le verrons. Pour eux deux, la Provence est au cœur de leur œuvre. 

On aurait pu faire d'autres choix, Giono par exemple ou Paul Carpita. Deux cinéastes importants même si ce dernier à une filmographie plus confidentielle. 

Mais Pagnol et Guédigian sont de ceux qui auprès du public représentent le plus l'idée provençale. Quitte à être accusé de tomber dans le folklorisme. Je plaide coupable. Mais pour l'un comme l'autre la Provence est un personnage à part entière. Elle n'est pas un simple décor. 

Honneur au plus jeune: Robert Guédiguian



Né à Marseille de parents arméniens en 1953. Il y passe son enfance. Comme Méliès jadis il habite depuis 30 ans la ville de Montreuil et il ancre son œuvre à quelques exceptions près dans les lieux de son enfance, l'Estaque, quartier de Marseille. Et c'est peut-être cet exil qui lui permet de voir et sentir ce qu'il n'aurait peut-être pas perçu autrement et qui fait l'essence de son œuvre. Son cinéma est essentiellement social. Jamais il ne reniera ses origines et ses engagements même s'il sait prendre du recul, parents ouvriers, adhésion au Parti Communiste à 14 ans il rendra sa carte en 1977 au moment de l'éclatement de la gauche. Il reste cependant sans y adhérer proche de la gauche non socialiste.    
Son cinéma exalte des vertus humanistes et la bienveillance. Il brosse le portrait de gens simples, aux prises avec la vie, le monde qui les entourent, l'amour, le travail, le chômage, la politique, l'évolution de la société, des années prolétaires à l'embourgeoisement du monde ouvrier, de la solidarité de classe à la rupture de celle-ci. 
Il réalise ses films dans un esprit de troupe de théâtre. Si les emplois sont interchangeables au grès des scénarii, les comédiens sont presque toujours les mêmes on les retrouvent de films en films. Ariane Ascaride (son épouse) Gérard Meylan (l'ami d'enfance) Jean-Pierre Darroussin (qui semble faire parti des meubles) . Au fil des années on les verra prendre de l'âge, évoluer du "Dernier été" tourné en 1981 à la "Villa" sorti en 2017. Il reste aussi fidèle à son équipe technique.
 
                        Ariane Ascaride et Gérard Meylan dans Marius et Jeannette

Si Pagnol est artiste protéiforme, homme de théâtre, cinéaste et romancier etc.., Guédiguian lui n'est que cinéaste. Mais "Ki lo sa?" (C'est le titre de son premier film), il n'a que 65 ans… S'il n'a jamais encore touché au théâtre celui-ci n'est pas absent de son œuvre, il y puise son inspiration comme dans l'actualité sociale, on retrouve fréquemment des références à Brecht et Tchekhov. Techniquement il est adepte de la simplicité comme pouvait l'être Pasolini un de ses maitres. Par mesure d'économie mais aussi par éthique. "On ne met pas une Louma (grue de prise de vue permettant de faire des plans très spectaculaires) dans une cour de HLM. Il vaut mieux donner l'argent aux pauvres! C'est une affaire de morale." Dira -t-il dans un entretien à la revue Positif.  Quasi absence d'effets spéciaux. Beaucoup de plans fixes. Pas d'acrobaties techniques, peu de studios. L'économie de moyens, donc, caractérise son travail. 
Le tournage de La Villa est un bon exemple de sa façon de travailler même s'il existe des exceptions. Un lieu unique. Ici une calanque proche de l'Estaque: Méjean, qui deviendra un studio à ciel ouvert. Le lieu est aménagé préalablement. On est en hiver. On repeint les habitations (avec l'accord des propriétaires). Les éclairages sont disposés une bonne fois pour toute. Restera à éclairer ou pas, à faire varier les intensités. Tout est organisé pour que l'équipe et les comédiens puissent y vivre en vase clos, on mange, on campe sur place. Pendant le tournage, la route d'accès sera fermée. Il n'y aura plus qu'à travailler. 
Pour clore citons quelques un de ses films: Marius et Jeannette qui l'a fait connaitre du grand public les neiges du Kilimandjaro, Marie-Jo et ses deux amours, Gloria Mundi qui doit sortir fin novembre.

L'ancêtre à présent: Marcel Pagnol




Né à Aubagne en 1895 c'est un artiste complet rien ne lui résiste: écrivain, dramaturge, poète, cinéaste, scénariste, dessinateur et peintre à ses heures. Académicien, il est également un homme d'affaire avisé en devenant producteur de cinéma  les Films Marcel Pagnol et en ouvrant à Paris et à Marseille au Prado ses propres studios . Il est également éditeur. En 1934 il sera acquéreur d'un domaine au-dessus du village de La Treille, proche de Marseille, dans les collines de son enfance avec l'idée d'y créer un Hollywood provençal, et plus tard il achète le château de la Buzine, pour y établir une cité du cinéma. Celui-là même qui faisait si peur à sa mère jadis alors que la famille en traversait le parc clandestinement pour s'économiser un long détour pour rejoindre Bastide neuve. 
La 2e guerre mondiale met un frein à l'entreprise. Il vend ses studios parisiens à la Gaumont tout en en restant directeur et arrête ses tournages pour échapper aux pressions de la Continentale , société cinématographique pro nazie, qui veut profiter de sa notoriété. Il ne signera aucun film durant toute la période de l'occupation. Son dernier film la Prière aux étoiles restera inachevé et il en détruira les rushs.
Il acquiert en 1942 le Domaine de l'Étoile  à La Gaude où il emploie le personnel des studios en tant qu'ouvriers agricoles leurs évitant ainsi le STO. Le domaine se lance dans la culture des œillets. Raimu dira alors: " Si Marcel devient fleuriste, alors moi, je n'ai plus qu'à aller vendre des rascasses! " il fera référence à cette période dans "Jean de Florette".

À la libération, il est chargé de constituer une commission d'épuration au sein de la profession. Position délicate qu'il utilisera pour défendre les artistes qui ont continué à travailler durant l'occupation sans pour autant se montrer collabos. 
On le voit, c'est un personnage que nous dirons hors du commun. Grand séducteur, on lui connait 6 femmes avec ou sans Mr le Maire, et un grand nombre d'enfants. 
Grand menteur devant l'éternel non pour tirer profit de ses fables, mais par goût du romanesque et des belles histoires. Dans une interview il va jusqu'à dire qu'il est né le même jour que le cinéma qu'il situe à tort à La Ciotat avec la projection de "L'arrivée du train"  . Tout cela est totalement faux nous le savons . Mais que seraient les belles histoires si on se contentait de la vérité toute nue? Alors comme on parle aujourd'hui de réalité augmentée, acceptons aussi l'idée de vérité augmentée. Et puis ne sommes-nous pas à Marseille la capitale mondiale et incontestée de la galéjade. 

Quelques unes de ses œuvres marquantes soit comme scénariste soit comme réalisateur: 
1934 Angèle
1936 Topaze
1937 Regain
1938 Le Schpountz, La Femme du Boulanger déjà cité,
1940 La fille du puisatier.
1945 Naïs,  un Pagnol noir, cruel.
1952 Manon des sources et la suite, Ugolin (la suite deManon des sources.
1954 Les lettres de mon moulin.
1967 Le Curé de Cucugnan (téléfilm)
   
Mais la grosse affaire de Marcel Pagnol pour nous, restera la trilogie marseillaise
Marius, Fanny qu'il a supervisées et César, dont il sera le réalisateur tout en étant pour l'ensemble le scénariste et l'auteur quand il s'est agit de théâtre. 





Tout y est. Et c'est-ce qui fait le charme et la force des trois films. Les rapports de classes, les conflits de génération, la chimie fine des rapports humains et de la vie autour du Vieux Port. Par exemple il sait prendre de la distance et regarder avec un œil critique. Un trait du caractère marseillais (mais ont-ils le monopole?) On est accueillant certes très même, facilement amis, mais un estranger reste un estranger, il y a des choses qui doivent rester dans l'entre soi. Pour témoin ce dialogue de la célèbre partie de cartes entre les habitués du bar de la Marine en présence de M. Brun qui est lyonnais comme chacun sait et parle pointu. Quand César maladroit annonce:  

-  Que tout le monde sait bien que c'est dans la marine qu'il y a la plus de cocu!
Escartefigue le capitaine du ferry-boat vexé réplique: 
-  Monsieur Brun,  ne le savait pas! 

Pagnol a été l'enfant adoré et gâté de toute une époque. Celui qui engrangeait succès après succès. Celui qui a marqué des générations de jeunes et de moins jeunes. 
Une anecdote pour illustrer son aura:  Au cours d'un tournage à proximité d'un aéroclub un petit avion passe dans le ciel plus tard un autre. Les bruits du moteur perturbent la prise de son, il faut à chaque fois reprendre la scène. Pagnol envoie un assistant se renseigner. Le directeur de l'aérodrome fait alors afficher le note suivante: " Monsieur Pagnol faisant un film dans les environs les vols sont suspendus jusqu'à nouvel ordre." 
  
Tout à l'heure on a dit à propos de Robert Guédiguian  que Marseille était dans son œuvre un personnage à part entière, chez Marcel Pagnol on peut dire la même chose pour l'Accent. 
Le critique André Bazin écrivait en 1959 à ce propos et qui pourrait  conclure notre propos sur Pagnol:

« L'accent ne constitue pas, chez Pagnol, un accessoire pittoresque, une note de couleur locale, il est consubstantiel au texte et, par là, aux personnages. Ses héros le possèdent comme d’autres ont la peau noire. L'accent est la matière même de leur langage, son réalisme."


(A suivre mardi 28 juin)

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