La terre de Provence à toujours été riche en écrivain.e.s, poète.sse.s. Frédéric Mistral évidemment, mais aussi Jean Aicard. Inutile de parler de Marcel Pagnol, ni de Jean Giono, et de bien d'autres, tant ils sont nombreux.
La terre de Provence fut aussi terre ouvrière avant d'être touristique. Aussi y eut-il des générations de travailleurs. On oubliera ici le monde agricole pour ne citer que ceux de industrie, de la mine, et de la marine.
Ce monde ouvrier fournit aussi des artistes, poètes, écrivains, peintres et sculpteurs.
Deux d'entre eux ont retenus notre attention, non en raison de leur notoriété, le temps qui passe étant bien ingrat envers ceux-ci, mais parce qu'ils étaient toulonnais. Louis Pélabon le poète ouvrier voilier, et Louis-Charles Poncy Poète maçon. Poètes oubliés à tort ou à ... raison:
Le premier Louis Pélabon (1814 - 1906) était voilier à l'arsenal de Toulon, douzième enfant d'une famille, il s'embarque à 14 ans comme mousse pour soulager la misère familiale. A 20 ans on le retrouve ouvrier voilier, en 1854 il est contremaître et commence une carrière littéraire en publiant des vers en provençal, puis il se risqua avec succès dans l'écriture de comédies, toujours en provençal puis en français. Chrétien convaincu, son œuvre chantera la charité, et l'humilité. Plus tard, il chantera aussi les louanges de Napoléon III et de ses victoires de Crimée, et d'Italie, oubliant au passage les déconfitures de la guerre Franco-Prussienne de 1870 et la fin calamiteuse de l'empereur, pour se consacrer la littérature religieuse.
Un poème par lequel Louis Pélabon répond à ceux qui lui dénient du talent.
Laisse la poésie
Va, crois-nous, Pélabon, laisse la poésie !
Tous tes efforts sont vains, et bientôt les sueurs
Produites par l'excès d'un impuissant génie
Se mêleront un jour aux regrets, aux douleurs.
Ne sais-tu pas encor que sa route est secrète ?
De la mer où tu cours ne vois-tu point l'écueil ?
Tu seras un rimeur et non pas un poète,
Jeune présomptueux, réprime ton orgueil.
Va, crois-nous, Pélabon, laisse la poésie !
Aujourd'hui ces labeurs sont devenus sans prix.
Ingrate passion, profonde frénésie ;
Ce cours est épuisé par de nombreux écrits.
Suis nos sages conseils, de ces fausses amorces
Ne soit plus désormais le jouet malheureux ;
Consulte (dit Boileau) ton esprit et tes forces
Avant de parcourir ce sentier périlleux.
Va, crois-nous, Pélabon, laisse la poésie !
Quoi, faudrait-il te dire et de l'âme et du cœur
Qui n'est point du premier rang le public renie,
La médiocrité n'a point d'approbateur.
Occupe ton esprit à des choses utiles,
Mets pour fendre la mer des ailes aux vaisseaux,
Qui, plus faibles ou plus forts, n'en sont pas moins habiles,
Et là tu recevras le prix de tes travaux.
Va, crois-nous, Pélabon, laisse la poésie !
Sont-ce de vrais amis qui tiennent ces discours
Non, c'est plutôt, je crois, l'ignoble jalousie
Qui feint de prodiguer à mes maux du secours.
Je vous pardonne à tous pédants du dernier ordre,
Sots appréciateurs, prétendus beaux esprits,
Sur le moindre défaut votre dent cherche à mordre ;
Mais quand l'art a brillé, donnez-nous quelque prix ?
Va, crois-nous, Pélabon, laisse la poésie !
Quoi, pour anéantir la noble passion,
Qui me fait en souffrant redoubler cette envie
En versant dans mon cœur sa sublime onction,
Allez, ne croyez point éteindre mon courage,
Je saurai malgré vous soutenir mon ardeur ;
On s'embarrasse peu de votre vil suffrage,
La critique aux beaux arts ne sait point faire peur.
Non, non, je ne veux point laisser la poésie !
Non, ce n'est pas pour vous que j'entonne des chants,
Je veux rassasier ma noble fantaisie,
Après je foule aux pieds vos sophismes méchants,
Heureux dans mes travaux d'un succès éphémère,
Mes chants ne brûlent point de gloire, d'avenir,
Quand ma muse en produit, je célèbre ma mère,
Et rends grâce à l'auteur qui sait les lui fournir.
Le Chant de l'ouvrier, 1842
Charles Poncy 1821- 1891
Le second, Maçon et protégé de George Sand, il s’est fait une place dans la génération des poètes-ouvriers d’expression française. Sa langue toulonnaise s’exprime principalement dans l’Armana Prouvençau. Il est élu Majoral du Félibrige en 1881.
Charles Poncy est né le 4 avril 1821 à Toulon. Il commence son apprentissage de maçon dès l’âge de neuf ans avec son père et son frère aîné. Il vit de son métier de maçon jusqu'en 1848, année pendant laquelle il se présente à l’Assemblée Constituante et ne sera d'ailleurs pas pas élu. Poncy ne sera jamais vraiment le poète prolétaire. S'il est sensible aux questions sociales tant espéré par George Sand et s'il parle de sa condition d'ouvrier, il reste le poète régional de Toulon et de la Méditerranée.
Après avoir étudié le droit et la géométrie, il quitte sa condition d’ouvrier. À partir de 1849, il occupe plusieurs postes dans différentes administrations. En 1850 il devient vice-président de la Société des Sciences et Belles-Lettres de Toulon, et en 1860 il reçoit la Légion d’Honneur. Il meurt le 30 janvier 1891 à Toulon, sans avoir laissé le souvenir d’un poète de grand talent.
Le Forgeron
Debout devant mon enclume,
Prêt au travail me voici :
Dès que l’aube au ciel s’allume
Ma forge s’allume aussi.
Frappe, marteau, tors et façonne
Le métal qu’amollit le feu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
En vain la sueur m’inonde,
Mes bras n’en sont que plus forts.
C’est la sueur qui féconde
Mon courage et mes efforts.
On m’en voit, comme une couronne,
Une perle à chaque cheveu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
Le riche, qui de ma blouse
Détourne son œil railleur,
Plus d’une fois me jalouse
Ma gaîté de travailleur.
La gaîté, Dieu toujours la donne
A qui sait vivre heureux de peu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
J’aime à forger la charrue,
Qui nourrit le genre humain ;
Mais jamais le fer qui tue
Ne fut battu par ma main,
Sur terre il ne faut que personne
Avant son heure dise adieu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
Pince, qui fend les carrières,
Balcon, où l’on prend le frais,
Soc, qui sillonne les terres,
Marteau, qui brise le grès :
Qu’on laboure, taille ou maçonne,
Mon ouvrage sert en tous lieux.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
Dans mon ténébreux asile
Je vis plus heureux qu’un roi ;
Lorsqu’à tous on est utile
On peut être fier de soi.
Cette forge que je tisonne
Du char du travail fait l’essieu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
Vive la forge qui brille !
Dans cet enfer de charbon
On dit qu’en été que je grille,
Mais l’hiver il y fait bon.
Que toujours mon bras y moissonne
Le pain du jour, c’est mon seul vœu.
Que ta voix de fer, mon marteau, résonne
Pour glorifier le travail et Dieu.
Que tout cela est bien conventionnel vous en conviendrez! Voire réactionnaire dans l'esprit de l'époque. On est bien loin du regard porté sur le peuple et les travailleurs par Hugo, ou plus tard par Zola!
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