Jean-Pierre ORCIER nous livre aujourd'hui une nouvelle qui, a pour cadre comme la précédente (voir la-tournee-du-facteur-mireur) le village de MONS dont il est originaire dans le nord ouest du Var.
Jean-Pierre, pose un regard amusé et plein de tendresse sur ces personnages qui ont sans doute existé et dont on raconte encore les histoires entre amis ou en famille. Douce alternative aux soirées télé.
N'hésitez pas à commenter, de lui faire part du plaisir et des émotions éprouvés à cette lecture.
Le chapeau d’Honorine
Par Jean-Pierre ORCIER
Illustrations JFG
Veuve depuis des lustres, la bonne Honorine n’avait qu’un fils qui commençait à se faire vieux et toujours célibataire. Cette situation n’était pas sans lui donner quelques inquiétudes. Par moments, elle se tourmentait de voir son grand dadais toujours seul, sans une jolie brunette à ses côtés. Songeant à ses vieux jours qui ne tarderaient pas, elle espérait qu’un foyer affectueux l’entourerait sous peu de son amour et se voyait en rêve faisant sauter sur ses genoux quelque marmaille aux anges. Un pau manjo-Bouan Diéu, elle confiait dévotement son impatience à l’église du village. Comme de juste, Sainte Agathe* entendit ses suppliques après que la vieille femme eut confectionné et partagé une paire de pains en forme de seins coupés, lors de la fête de la belle martyre. Miraculeusement, les jours suivants, le grand gamin trouva enfin une calignaïre à son goût et tout le monde à l’oustau fut bien content. « Lou drole se marido ! » s’enthousiasmait Honorine, levant les bras au ciel comme le Ravi de la crèche. Le temps perdu fut vite rattrapé, les préparatifs du mariage allaient bon train. Dans l’effervescence, quelques jours avant la cérémonie, le garçon dit à sa mère :
- « Mère, achetez-vous un chapeau ! Fa quaranto an que portas lou meme. Fau ana à Draguignan encò de Mestre Fanti, lou capelié, que n’a de poulit ! »
- « Mère, achetez-vous un chapeau ! Fa quaranto an que portas lou meme. Fau ana à Draguignan encò de Mestre Fanti, lou capelié, que n’a de poulit ! »
Cette invite directe, secrètement désirée, tombait à point nommé. Honorine ne fit ni une ni deux tant il faudrait se montrer à la hauteur des usages le jour-dit et soutenir les œillades critiques des basareto envieuses toujours promptes à cancaner. Et puis, le mariage n’était-il pas plus belle occasion de porter coiffe ? Débrouillarde et fine couturière (toute sa vie, elle avait tenu la mercerie du village), elle avait bridé sa dépense jusque-là en taillant de ses doigts habiles une toilette des plus élégantes. Alors, pour le chapeau, pas question de mégoter car, selon ces dames, cet accessoire incontournable se distingue dès le premier coup d’œil et rehausse à la perfection une silhouette. En un mot comme en cent, le chapeau, c’est la touche chic et un sujet intarissable de conversation chez la gente féminine. Seul un « espécialiste », en boutique, proposerait un éventail de formes, une gamme de couleurs, un échantillonnage de matières et une profusion de raffinements propres à l’originalité et au fait de la dernière mode. Elle se fit mener sans délais à la ville et, après quelques emplettes de dernière minute le long des avenues marchandes, se planta devant une devanture rafraîchie qui annonçait fièrement « Chapellerie Fanti & fille ». Sans hésitation, elle poussa la porte, provoquant le tintement d’un joyeux cascavèu et l’irruption d’une modiste gracieuse, disposée à toutes les sollicitudes pour combler les caprices les plus loufoques de sa clientèle. Depuis qu’Honorine y avait mis les pieds, l’unique fois, c’est-à-dire au moins quatre décennies plus tôt à l’occasion de son propre mariage, la boutique s’était habillée de tentures aux couleurs pastel délicieusement féminines qui adoucissaient la lumière du jour
En pénétrant, des miroirs cernés d’or et d’argent flattaient agréablement le regard des visiteuses et présentaient l’image pérenne d’une maison de qualité. Artistiquement installées sur des étagères en métal ouvragé ou habillant des têtes de mannequin en bois très réalistes, toutes sortes de couvre-chef s’y miraient en permanence, prenant la pose comme chez le photographe et rivalisant de coquetterie et de séduction.
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Un pau manjo-Bouan Diéu : un peu bigote
calignaïre : amoureuse, fiancée
l’oustau : la maison
« Lou drole se marido ! » : « Le garçon se marie ! »
« Fa quaranto an que portas lou meme. Fau ana à Draguignan encò de Mestre Fanti, lou capelié, que n’a de poulit ! » : « Vous portez le même depuis quarante ans. Il faut aller à Draguignan, chez Maître Fanti, le chapelier, qui en a de jolis ! »
basareto : bavardes, commères ; cascavèu : grelot, clochette
calignaïre : amoureuse, fiancée
l’oustau : la maison
« Lou drole se marido ! » : « Le garçon se marie ! »
« Fa quaranto an que portas lou meme. Fau ana à Draguignan encò de Mestre Fanti, lou capelié, que n’a de poulit ! » : « Vous portez le même depuis quarante ans. Il faut aller à Draguignan, chez Maître Fanti, le chapelier, qui en a de jolis ! »
basareto : bavardes, commères ; cascavèu : grelot, clochette
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Des borsalino italiens faisaient de l’œil à de minuscules bibis posés à la chien tandis que des chapeaux cloche à ruban regrettaient les Années folles près des bérets en tous genres. Sur tout un côté, des coiffes provençales, en cortège moutonnier, affichaient leurs finesses, des plus simples aux plus raffinées : des plates pour enfant sans pans ni galons en coton blanc, des brodées à auréole vaporeuse, des à « gauto » en dentelles valenciennes. Après les civilités d’usage, nullement impressionnée en apparence, Honorine, fine mouche, affirma franchement une fidélité éternelle à son fournisseur officiel, espérant pour tout dire un égard particulier ou pourquoi pas une petite remise accordée à une bonne cliente.
- « Vé, sian mai aqui ! dit-elle à la demoiselle, comme si elle était venue la veille. Faudra donner notre bonjour à votre père ! » ajouta-t-elle pour se donner la contenance d’une dame distinguée, résolue à se la jouer un peu.Pas dupe pour un sou, la vendeuse acquiesça d’un sourire discret, comprit qu’elle n’avait pas affaire à une modeste paysanne et prit un soin attentif aux désirs de l’acheteuse. Pour un mariage, le tout-venant bon marché n’était, bien entendu, pas de mise et le choix, loin d’obéir au hasard, devait suivre des règles strictes d’assortiment et de goût. Pour cet achat hautement tactique, il fallait se hâter avec lenteur - un indiscutable luxe - et procéder par étapes successives. Professionnelle avertie, la modiste fit asseoir Honorine, un peu nerveuse, afin de la mettre à son aise et commença à détailler son visage, niant par avance l’invention de la tête à chapeaux, contrairement à la croyance populaire. Son examen fut rapide et le diagnostic infaillible : une ample capeline s’harmoniserait joliment avec la figure ovale de la cliente. Aussitôt, Honorine, en confiance entre de si bonnes mains, se sentit réconfortée car un grand pas était fait. Du moins le croyait-elle ! Quelques essayages dans ce style, discutés avec justesse et délice par les deux complices, confirmèrent la sagacité du conseil. Puis, sans hésitation, la vieille femme fondit complètement pour un modèle asymétrique à bord relevé, plein de panache, qui lui donnait un air de mystérieuse nonchalance en lui voilant l’œil droit. Pour la matière, le feutre de laine s’imposait fort à propos en cette fin d’hiver, restaient néanmoins la couleur à adopter et quelques ornements à dénicher pour peaufiner l’ouvrage. Pas une petite affaire ! La première fut pourtant vite tranchée. Refusant le noir qui est bien triste pour un mariage et qui, disait-elle, lui durcissait les traits du visage, la monsoise se rallia à un coloris gris perle assorti à l’étoffe de sa robe de cérémonie. A ce moment critique de l’opération, deux dernières coiffures similaires se disputèrent la priorité et posèrent un authentique dilemme à l’élégante. Quelle frivolité choisirait-elle en guise de parure ? Une broche à longues plumes naturelles d’un effet un peu tape-à-l’œil ou bien un large ruban anthracite noué en gros grain ? Pour sûr, elle craignait de passa pèr un carnava davans lou mounde, en particulier auprès de quelques rustiques du village bêtement goguenards à la vue des fanfreluches féminines. Quelques passages indécis devant le miroir plus tard, Honorine arrêta son choix tout compte fait sur le dernier modèle. La vendeuse qui avait délibérément oublié d’influencer sa cliente en dernier ressort approuva avec soulagement par ce rituel flatteur : « Es la grand modo e vous va coumo un gant ! ». L’affaire avait pris son temps, mais elle était conclue. Pour sûr, la douloureuse fut à la hauteur de la coquetterie mais Honorine la régla cependant sans regrets, intimement enchantée de se sentir une femme différente, assurément rajeunie. Elle refusa même de se séparer de son ornement précieux afin de tester son petit effet le long des allées d’Azémar toujours bien fréquentées à cette époque. A juste titre, elle songeait que les hommes d’un certain âge peuvent laisser traîner la pupille sur quelque personne gracieuse ou bien attifée. Quant aux promeneuses désœuvrées, leurs coups d’œil à la dérobée parleraient bien mieux qu’un long discours. La tête haute, le menton volontaire, les pommettes en feu, Honorine sortit donc du magasin les bras encombrés et s’éloigna de la vieille ville tout en tortillant de la croupe juste ce qu’il faut.
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Gauto : joue ; « Vé, sian mai aqui ! » : « Regarde, nous sommes encore là ! »
De passa pèr un carnava davans lou mounde : de passer pour un carnaval devant tout le monde, d’être ridicule
« Es la grand modo e vous va coumo un gant ! » : « c’est la grande mode et il vous va comme un gant ! »
« Es la grand modo e vous va coumo un gant ! » : « c’est la grande mode et il vous va comme un gant ! »
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Fâcheusement, les premières gouttes grosses comme des pièces de cinq francs d’une chavano imprévue et soudaine médaillèrent les trottoirs sur son chemin…
- « Moun Dieù ! Moun capèu, va èstre tout bagna, se désespéra-t-elle en cherchant vainement une niche hospitalière. Lèu, lèu…Tè, vé, vau metre moun coutihoun sus ma tèsto ! »
Joignant le geste à la parole, Honorine, prise de court, posa ses paquets à même le sol trempé, puis, prestement, souleva par derrière sa jupe plissée qui frôlait ses bottines. Dans sa précipitation, elle entraîna bien malgré elle son jupon de dessous en broderies anglaises qui gonflait sur ses hanches et fit basculer le tout sur sa tête chapeautée à la manière d’une cape doublée toute en hauteur. Ainsi accoutrée, elle préservait efficacement son feutre de l’averse mais le tableau qu’elle croquait, à la fois pittoresque et cocasse, ne pouvait qu’éveiller l’espièglerie des rares passants. Dans la rue, il y eut évidemment un jouine un pau couquin pour s’estrassa de rire et lui crier les mains en porte-voix :
- « O ! Mémé, fasés veire lou cuou ! »(Il faut vous dire qu’à l’époque de cette histoire, les femmes portaient sous leur jupe et jupons une culotte longue et fendue, souvent brodée, qui laissait entrevoir les rondeurs de leur plus bas que le dos).
Loin de se démonter, la brave Honorine lui répondit du tac au tac :
- « M’en garci pas mau ! Moun cuou a setanto an et moun capèu es noù ! »
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chavano : un gros orage« Moun Dieù ! Moun capèu, va èstre tout bagna. Lèu, lèu…Tè, vé, vau metre moun coutihoun sus ma tèsto ! » : « Mon Dieu ! Mon chapeau, il va être tout mouillé. Vite, vite…Regarde, je vais mettre mon jupon sur ma tête ! »
jouine un pau couquin : un jeune (homme) un peu coquin
s’estrassa : se déchirer
« O ! Mémé, fasés veire lou cuou ! » : « Oh ! Mémé, vous montrez votre cul ! »
« M’en garci pas mau ! Moun cuou a setanto an et moun capèu es noù ! » : « Je m’en fiche pas mal ! Mon cul a soixante-dix ans et mon chapeau est neuf ! »
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* Sainte Agathe de Catane : « vierge pucelle qui souffrit en sa mamelle », patronne des nourrices, fêtée à Mons le 5 février exclusivement par les femmes. Ce jour-là, pas de travail et un grand banquet dansant pour ces dames qui invitent ces messieurs.
Merci Jean-Pierre pour cette historiette pleine de fraicheur. J'ai apprécié l'humour, le style et le langage qui me permet de découvrir petit à petit le "beau-parler" provençal. Alain
RépondreSupprimerUne nouvelle remplie de tendresse et d'humour qui fleure bon la Provence. Voilà une manière agréable et didactique de nous initier un peu au provençal en nous permettant de savourer cette histoire haute en couleurs . Il nous faudrait plus souvent de telles alternatives aux programmes télévisuels souvent indigestes et violents... Merci Jean-Pierre. De la part d'Agnès
RépondreSupprimerUne histoire simple. Qui vaut par la forme, le plaisir de la lire, j'allais dire l'écouter, car je crois que nous sommes ici dans un petit conte de veillées aux accents picaresques comme on les aime tant en terre de langue d'oc. Ces entrées par effraction de l'occitan provençal me ravissent. Il me semble entendre la voix rocailleuse de mon grand' père qui aimait émailler ses récits d'une langue certes différente - l'occitan rouergat - mais aussi tellement proche. Ces intrusions n'étaient pas snobisme, mais art du conteur, du poète, pour le plaisir des mots et des sonorités. Pour dire aussi ce que le français ne peut exprimer. Merci Jean-Pierre pour cette madeleine.
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