Jean- Pierre ORCIER nous fait découvrir toujours pour notre plus grand plaisir, un nouvel aspect des mœurs du village perché de Mons. Cette fois il trempe sa plume dans le vinaigre. Mais disons-le tout de suite avec une certaine tendresse pour ces redoutables Tataragnes. Il y aura 5 épisodes à cette série qui sera à n'en pas douter palpitante, pleine de rebondissements, de truculence et de saveurs provençales.
Bonne lecture.
PS: Les intertitres sont de la rédaction.
Les Tataragnes
Récit par Jean- Pierre ORCIER
Illustration JFG
Elles n’opèrent pas n’importe où. Elles sévissent dans les lieux stratégiques du village. Elles papotent sur les bancs de l’église, le missel sur les genoux. Elles bavassent autour des lavoirs, le battoir en action. Elles jasent en faisant la queue aux épiceries, le cabas à la main. Les plus pugnaces, les plus redoutables aussi, se postent sur le passage de la Grand-Rue*, à l’entrée de la place Saint Sébastien, du fond de leurs chaises-longues, un tricot au bout de leurs aiguilles, la revue « Confidences » entre leurs griffes. Là, elles contrôlent les allées et venues du monde comme des douaniers soupçonneux à une frontière. Elles brocardent les démarches. Elles ridiculisent les coiffures. Elles reluquent les rencontres. Elles fouillent les regards. Elles épient les conversations. Veuves précocement, mariées trop jeunes ou contre leur gré, épouses d’un mari volage ou négligent, vieilles filles en privation de descendance, ces dames, de prime abord, ne manquent pourtant pas de sembler familières et aimables, maternelles et affables…Un peu comme des parentes, des grands-tantes. Méfiez-vous, la façade est éminemment trompeuse ; elles sont viscéralement terribles, à l’affût du gibier de choix, des têtes de Turc qui s’ignorent encore ! Par nature aragnes, elles tissent des costumes gratis et pas seulement pour l’hiver. En colonie, elles entremêlent leurs toiles gluantes pour mieux entortiller leurs proies fautives. La soie médisante de leurs fils méthodiquement sécrétée n’épargne personne : jeunes, vieux, femmes, boulanger, facteur, curé, instituteur, châtelain, maire, tous y passent. De préférence, elles attaquent par pointes successives ; une débusque un souffre-douleur en titre et décoche hardiment un premier propos venimeux ; une autre confirme l’offensive par ses paroles acerbes et renchérit de tout son fiel ; puis c’est au tour des plus féroces qui enfoncent définitivement le clou afin de sonner la curée ; enfin à l’instant de cette mise à mort, toutes, triomphantes, opinent du chef au nom de la morale des gens dits honnêtes. Elles cultivent le qu’en-dira-t-on, gonflent les racontars, se repaissent de cancans, ne sont jamais rassasiées. Agglutinées autour de quelques virtuoses du potin, de quelques bonnes femmes chefs d’orchestre du commérage, elles composent à la baguette une symphonie de dénigrements où chacune répète sa partition caustique. Certes, elles se tiennent les coudes, s’encouragent, se congratulent, mais qu’une manque à la chasse, s’absente momentanément de la traque, elle devient à son tour victime expiatoire et fait les délices sarcastiques de ces bazarettes en concert. Mais tendons l’oreille, l’hallali sonne aux heures propices et chacune colporte son ragot ravageur.
- « Tenez ! Prenez la vieille Augustine, vous avez vu comme elle est attifée ? Pire que Caramentran** !
- Ah, oui ! La grande perche de la carriero Clemènt Roulan, après l’especiarié d’Armande !
- C’est ça ! Une braillasse pleine de ravan sur le dos, avec des chichibèli qui pendouillent partout et un chapeau mité et crasseux qui ferait peur même à un épouvantail !
- Et des cheveux filasses, hérissés sur les tempes ! Elle a l’air d’une mégère du diable !
- A la voir, on lui filerait la pièce à cette marque-mal !
- Pourtant, a de sòu, aquelo fremo !
- A forço oustaou dins lou vilage !
- Sûr ! Mais elle est radine comme un auvergnat !
- Sans parler qu’il faut pas trop l’approcher. L’autre jour, elle emboucanait toute la rue. Ça sentait pas la rose, croyez-moi, mes chéries !
- Vous savez la meilleure ? Approchez-vous ! Aux arpions, elle a des semelles taillées dans de vieux pneus ! Si, si ! Des lambeaux de caoutchouc noués avec des lacets dépareillés ! D’un grand chic ! Et je vous parle pas des chaussettes blanc sale, une qui bâille de côté faute d’élastique, l’autre qui s’effiloche tellement elle date !
la carriero Clemènt Roulan : la rue Clément Rolland ; l’especiarié : l’épicerie
braillasse : personne négligée ; ravan : débris, vieux habits ; chichibèli : chiffons accrochés pour faire rire ; a de sòu, aquelo fremo ! : elle a de l’argent, cette femme !
A forço oustaou dins lou vilage ! : Elle a plein de maisons dans le village !
* actuellement rue Jean Vadon ; ** Carnaval, mannequin vêtu d’oripeaux
- Pas possible ! De l’inusable, les Michelin, pas vrai ? ! Elle a bien d’oursins dans la poche, ma parole ?
- C’est pas tout ! Le plus drôle, c’est la ficelle toute ébouriffée qui lui sert de ceinture…et qui lui soutient les tétons en même temps
- De grands pendants, en somme !
- Ha ! Ha ! Visez le tableau ! Bon pour le musée des horreurs ! »
- « Au fait ! Vous avez des nouvelles de l’Albert de Zize* ?
- Le chiqueur malpropre comme un peigne ?
- Oui, lou vitraire qui est plus trop transparent !
- Il a passé toute la nuit dans le caniveau tellement il était empégué, à ce qu’on dit !
- Sa femme, elle prend plus la peine de le ramener dans son lit ?
- Non ! Il faut dire qu’il est gaillard, le bougre, et qu’un poids mort pareil à tirer, c’est coton!
- Elle est bien couillonne de lui jeter une couverture !
- C’est son mari, ma foi ! Sinon, ils font chambre à part ?
- Dieu garde, non ! Leur oustau est bien trop petit, mais elle a trouvé une combine. Comme elle ne veut pas qu’il tache les broderies fines de ses draps avec ses pattes sales et je vous passe les détails, elle ne les a cousues que de son côté, la maligne ! Pas du sien !
- C’est vrai que ça serait dommage !
- Mais attendez la suite ! Le plus beau, c’est le matin ! Lorsqu’il se lève de bonne heure pour aller au jardin, il emporte le pissadou. Croyez-moi, il est bien garni ! Il faut bien engraisser la terre, pas vrai ! Vers midi, il revient avec plein de légumes, des poumo-d’amour de l’autre monde, des courgettes superbes, des pebroun rouges et difformes à souhait, des cebo grosses comme des coucourdo et des brassées de basilic d’une odeur que je vous dis que ça. Le tout, dans le même pissadou…pas même rincé !
- Oh, fan de Chine ! Et moi qui l’ai pas su ! Il m’avait bien servi l’autre jour ! Un dégueulasse ! Quau salop ! »
Demain nous verrons que le démon n'épargne personne.
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