jeudi 12 avril 2018

Les courges de Marie Morlan 3/3



Il ne fallut pas longtemps à ce personnage providentiel pour s’équiper d’une lampe de poche et s’armer d’un long bâton. Ainsi la petite troupe, le gaillard en tête et l’ancêtre vaille que vaille un peu plus en arrière, se hissa vers la scène de crime. Le raffut qui avait cessé momentanément reprit dès leur arrivée sur le seuil. Sans rien perdre du spectacle, Marie y resta, bouche bée, et soulagea son essoufflement - la bonne excuse - en laissant les coudées franches à son sauveur. Méthodique, celui-ci examina rigoureusement chaque pan de mur à la recherche d’indices, tout en mesurant ses pas parmi les dégâts. Rien sur la gauche, rien devant, mais à l’oreille, tout dénonçait le côté droit. « Pisssst… freutt », crachait le serpent, « Bang-boum », oscillaient quelques courges sous le faisceau de la puissante lampe. Ce son-et-lumière vivant avait quelque chose d’invraisemblable ; une explication cartésienne existait à coup sûr, mais laquelle ? Après quelques errements, la torche finit par se fixer sur une étagère du bas, la seule encore bien garnie. Longue de près d’un mètre, plantureuse à souhait, une belle Niçoise semblait y mener la danse sur une piste de planches bancales, entraînant dans sa cadence des comparses plus légères et le décor avec. Sans aucun doute, l’animal se camouflait, bien lové derrière. Le bâton allait gangasser le tout quand, soudain, un des matous en vadrouille surgit, ombre chinoise, dans le rectangle de nuit pâle de l’unique ouverture, lançant un miaulement d’appel. L’effet fut immédiat. Un vrai coup de théâtre ! Trois paires d’yeux étincelants sous le feu lumineux jaillirent de l’intérieur de la courge. Trois beaux chatons affamés, leur petite gueule ouverte, réclamaient, à cris aigus et plaintifs, leur mère qui, privée d’accès à cause d’une perfide bourrasque, n’avait pu les nourrir depuis le début de la soirée. Les oreilles plaquées en arrière, les poils hérissés, la chatte en furie bondit d’emblée vers sa progéniture, soufflant, crachant, ouvrant des pupilles énormes presque rouges. Les minets, image touchante, se mirent à téter tout de go tandis que leur mère entreprit une minutieuse toilette individuelle à grands coups de langue. « Noun lou crese ! » s’exclama Marie, délivrée et toute attendrie à la fois. De grands éclats de rire saluèrent ce tableau rustique, effaçant d’un trait les précédents instants de tension palpable… Les deux voisins s’embrassèrent comme deux enfants qui fêtent une victoire, un peu nigauds sur le coup de cette frayeur excessive. La raison voulait que le couple de fameux Tartarin, tueurs de serpent, s’éloignât, afin de ne plus perturber ce moment intime de retrouvailles familiales. On aurait le temps, au jour, de remettre de l’ordre en prenant d’infinies précautions. En se retournant, Marie jeta un coup d’œil intéressé sur les restes de son trésor. Il lui sembla, mais c’est une vue de l’esprit, que la dernière courge intacte, une magnifique Muscade de Provence, pouffait dans son coin, peut-être un effet dû à une trace ocre, sur son écorce, semblable à une bouche grande ouverte…




Le lendemain, chatte et chatons s’étaient évaporés dans la nature. La cachette éventée ne convenait-elle plus ? Etait-il temps de quitter le nid ? Si vous les croisez, ils vous répondront peut-être. Pour l’heure et après quelques observations minutieuses, la brave Marie comprit le fin mot de cette aventure unique : la courge, en séchant, s’était fendue le long de sa partie la plus charnue. L’entaille était large et profonde, créant une cavité que la chatte avait agrandie de ses griffes, extirpant un grand nombre de graines, afin de ménager un berceau commode pour ses petits. Le ventre vide, soucieux de l’absence de leur mère, ceux-ci, en s’agitant, avaient provoqué le déséquilibre de la lourde courge que sa difformité avait accentué. Simultanément, le mouvement de balancement s’était communiqué, par le jeu des planches instables, à l’assemblage mal arrimé dont une partie avait fini par basculer.

En remerciements, Marie offrit de bon cœur sa dernière Muscade à son obligeant voisin, lui recommandant de conserver quelques graines pour la saison prochaine. La leçon ayant servi, un menuisier installa les jours suivants de superbes planches bien solides et surtout bien accrochées…

siéu pas foualo, sabes ? : je ne suis pas folle, sais-tu ? ; chaple : massacre ; siéu poulido ! : je suis jolie ! (dans le sens, je suis dans de beaux draps) ; gangasser : remuer ; Noun lou crese ! : Je ne le crois pas !

Si cette cucurbitacée était perdue pour la bonne cuisinière, en revanche elle révélait une authentique histoire que Marie Morlan raconta à ses petits-enfants bien plus tard. Pour leur plus grande joie…
Une chose n’a pourtant jamais été révélée, c’est que, de mémoire de courges, on n’avait jamais autant rigolé au coucourdié. Soyez-en sûr !
 
«  La cato a catouna, n’a fa un rous, un blanc, un negre. » 
« La chatte a mis bas, elle a fait un roux, un blanc, un noir. »

 
coucourdié : lieu ensemencé de courges

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