mardi 18 août 2020

14 décembre 1943 : l’épopée de jeunes collégiens sur le chemin de la liberté.

Monique Broussais est membre de l'académie du Var ( fauteuil N° 50) et fidèle adhérente d'ALPHA.
Professeur des écoles honoraire, elle s'intéresse aux traditions et à l'histoire locale qu'elle rapporte à partir de faits, d'anecdotes ou de témoignages recueillis auprès de son entourage ou retrouvés dans le archives.
A l'origine de la création du Musée de l'Ecole Publique de La Farlède, elle s'est spécialisée dans l'histoire de l'enseignement.
Nous reproduisons ici avec son autorisation le texte de sa communication de décembre 2013 prononcée devant l'Académie et qui porte sur le dramatique évènement du 14 décembre 1943 de Nantua dans l'Ain.

"(…) J'ai beaucoup pensé à notre seul solliès-villain qui n'est pas revenu des camps et qui  avait été arrêté dans la ville natale de mon père où j' ai fait mes études ...Nantua dans l'Ain, tristement célèbre pour une mémorable rafle en décembre 1943 Une coïncidence qui m'avait beaucoup rapprochée de son épouse, gardienne du Musée Jean Aicard (…)"
Monique Broussais


                                                          Décembre 1943
 Nantua, sous préfecture de l’Ain, réputée pour ses quenelles à la sauce d’écrevisses,  se situe dans une cluse au bord d’un lac aux eaux claires et tranquilles, qui offre beaucoup d’agréments  aux amoureux de la nature. Nantua a été longtemps une ville de tanneurs. Ces artisans qui se sont spécialisés dans  la fabrication de chaussures, utilisaient une longue aiguille: la cathole. Depuis on surnomme les nantuatiens: catholards   ce qu’ils acceptent fort bien.
Les catholards sont particulièrement attachés à deux vénérables monuments. D’une part à l’église abbatiale, romane clunisienne, qui  renferme entre autre un vaste  tableau d’Eugène Delacroix: le martyr de Saint Sébastien et d’autre part  le vieux collège créé en 1643 qui sera fréquenté par d’illustres élèves. Citons Xavier Bichat célèbre pour ses travaux sur l’anatomie, la physiologie et l’embryologie, le député Alphonse Baudin mort sur les barricades en 1851,  et plus près de nous la médaillée olympique Corinne Niogret. Le collège prendra le nom de Xavier Bichat alors que l’école élémentaire est devenue depuis peu l’école Jean-Louis Aubert en l’honneur du chanteur du groupe de rock Téléphone qui est né à Nantua (son père en ayant été le sous-préfet).
De proportions modestes, le collège Bichat, de prime abord austère, possède une façade datant de la fin du 17e siècle décorée de pilastres, d’une corniche moulurée, de guirlandes  et d’une magnifique tête couronnée de grappes de raisin.
Au début du siècle dernier, dans cette ville paisible où l’été: le canotage et la pêche et  où l’hiver : le patinage et le ski constituaient les loisirs essentiels, rien ne laissait supposer que le cours de l’histoire engendrerait un drame terrible.
Dès le début du conflit de la dernière mondiale, l’ennemi occupe cette région montagneuse qui devient propice à la résistance. Peu à peu le maquis de plus en plus organisé s’oppose à l’occupant. Le 8  février 1943, la ville sera profondément marquée par la mort de l’un de ses jeunes enfants.  Pierre Benoît, dont le père est officier de police et la mère directrice d’école maternelle, poursuit ses études au Lycée Buffon à Paris. Entré dans la résistance à l’âge de 15 ans, il est arrêté, torturé et fusillé avec quatre camarades accusés de sabotages. Les nantuatiens seront bouleversés par l’émouvante lettre que Pierre Benoit écrira la veille de sa mort: «Adieu, tous ceux que j’ai aimés tous ceux qui m’aimaient, ceux de Nantua et les autres. ».
La vie reprend son cours avec une certaine angoisse. Une guérilla, souvent violente, entraîne des représailles sanglantes et des exécutions sommaires. Le 11 novembre 1943, alors que les célébrations sont interdites par le gouvernement de Vichy, des maquisards en uniforme et armés, sortent de leurs retranchements, défilent en gants blancs dans la rue principale de la ville d’Oyonnax, située à une quinzaine de kilomètres de Nantua, Ils déposent au monument aux morts une gerbe en forme de croix de Lorraine sur laquelle ils ont écrit: «Les vainqueurs de demain aux vainqueurs de 1914-1918» Sous les ordres du colonel Romans-Petit, l’opération a été bien préparée à la barbe des allemands qui prévenus trop tard ne peuvent agir. De plus, des actes isolés tels que: deux collaborateurs notoires, promenés à demi nus dans les rues de Nantua, le corps peint de croix gammées et une voiture allemande sabotée devant la Kommandantur rendirent l’occupant furieux. La population catholarde ne se doute absolument pas qu’elle sera victime de violentes représailles

Le 14 décembre 1943, tôt le matin, le temps est froid, l’aube cotonneuse, une gelée blanche perle les champs. Soudain, la ville est cernée par 500 militaires allemands qui barrent toutes les issues et font évacuer toutes les maisons.  Tous les hommes valides trouvés dans les rues ou dans les immeubles sont embarqués sous escorte et avec violence jusqu'à la gare où stationne un train composé de 3 wagons à bestiaux et de quelques voitures occupées par de nombreux soldats.
Mes cousins Claude et Pierre âgés de 8 et 5 ans dont le père, mon parrain, est prisonnier en Allemagne depuis 2 ans, se préparent à partir pour l’école. Claude ouvre la porte et se trouve nez à nez avec une mitrailleuse pointée sur sa maison. Il prend précipitamment son frère par la main et s’enferme. Avec leur mère, ils resteront  cachés  toute la journée dans le grenier.
Les nazis n’ont pas visité le presbytère où demeurent le Curé de la paroisse et un  jeune abbé Gabriel Gay, aumônier du collège. Ce dernier, âgé de 32 ans, charitable et dynamique est  très apprécié des paroissiens. Ce jour-là, il doit assurer le catéchisme dans un village voisin. Revêtu d’une simple soutane et de sandales légères, il décide de partir n’écoutant pas les conseils du Père Curé et ne réalisant pas la gravité de la situation. Il passe le premier barrage sans encombre mais reviendra encadré par deux soldats et prendra la direction de la gare. La stupeur est grande mais ceux qui ne pensaient être que de simples prisonniers diront que de le voir parmi eux, fut« un profond réconfort».
Depuis 6 mois, un jeune couple de toulonnais, demeure dans  un petit logement rue Nationale. Maurice Grégoire (24 ans) a été nommé commis aux hypothèques  Son épouse Odette élève leur petite Monique âgée de 8 mois. Bien que le climat soit parfois rude, ils apprécient les lieux et font souvent de belles promenades au bord du lac ou dans la montagne proche. Ce matin de décembre, Maurice sort de son immeuble pour se rendre au travail. Sous les yeux horrifiés d’Odette, il est aussitôt cerné et conduit à la gare.
Pendant ce temps dans le calme d’une forêt voisine, Roger ramasse une provision de bois en compagnie de son père. Roger est apprenti chez un menuisier à la Cluse, village voisin de Nantua. Il est chargé d’apporter régulièrement à la kommandantur des caisses que l’occupant utilise pour envoyer ses butins  en Allemagne. Soudain des avions rasent les lieux. Il faut rentrer. Roger et son père se dirigent avec leur charrette vers la ville. Ils  sont aussitôt arrêtés tous les deux. Sur le chemin de la gare,  Roger est interpellé « Que fais-tu là  petit?» C’est l’interprète de la kommandantur qui lui conseille vivement de se mettre derrière lui avec son père, puis lui recommande de se sauver. C’est ainsi qu’ils ne monteront pas  dans le convoi  qui emportera beaucoup de leurs amis.
Devant la porte d’entrée de la gare, un centre de triage est mis en place en fonction de l’âge, et de l’aptitude à travailler de chaque otage. Parmi ces hommes, amenés par vagues sans ménagement, les sportifs amateurs sont nombreux: nageurs, patineurs, alpinistes, randonneurs. Louis Yonner, remarquable par sa forte carrure, est de ceux dont le courage mêlé d’inconscience avait permis quelques exploits. Avec une périssoire bâtie par ses soins, il avait rallié Nantua à Lyon, empruntant les rivières menant au Rhône  puis Lyon à Marseille au péril de sa vie. Pour les Catholards, c’était un héros qui, de plus, avait aussi  envisagé de descendre le fleuve Amazone. Parqués derrière des barrières, Louis et ses camarades d’infortune attendaient leur sort pour certains sereinement, pour d’autres avec angoisse.
 Soudain, avec stupeur, ils voient arriver, le docteur Emile Mercier, l'adjoint au maire Allante et le capitaine de gendarmerie Verchère. Avec brutalité ils seront gardés dans un local spécial. Précieux chef de la résistance, lâchement dénoncé, le docteur Mercier, père de quatre enfants, est conduit en traction dans l’après-midi sur une route de montagne où il sera fusillé.
Mais la folie hystérique des nazis n’est pas satisfaite. Bien renseignés, ils savent que des enfants et des adolescents imitent et aident leurs parents résistants. Le professeur d'histoire avait formé avec quelques élèves un petit groupe  affilié à l'Armée Secrète de Nantua. Jean Rogier, le parrain de mon époux et Marc Beretta, un de mes voisins alors âgés de 18 ans,  en font  partie. C’est donc au Collège mixte qu’on va trouver  et punir les coupables.
Ce matin-là, Marc est  grippé, il  est donc  resté au dortoir. Jean en cours de français regardait par la fenêtre de sa classe. Il voit arriver une horde de soldats dans la cour. A leur tête deux frères, collégiens absents ce jour-là et fils de miliciens, conduisent le cortège. Il est 10 heures. C’est la recréation.  Dès leur arrivée dans la cour les garçons, petits et grands, sont alignés, les bras levés, contre une façade en face d’une batterie de mitrailleuse montée rapidement. Les filles sont parquées et surveillées dans les classes. Affolées, elles assistent au déroulement de ce drame. Un tri sommaire divise les garçons en deux groupes: les plus grands à droite, les plus petits à gauche. Le surveillant général se veut rassurant passant de l’un à l’autre en disant «Ils font des grandes manœuvres ».
Le dortoir est envahi. Marc est éjecté brutalement de son lit et devra rejoindre le groupe des grands.  Au cours d’une fouille méthodique, les soldats trouveront des balles de revolver dans la poche d’un blouson déposé sur un lit. Ils trouvent le nom du propriétaire de ce lit: Michel Fournier. Les soldats le  cherchent en vain  mais , l'un des deux frères arrivés en même temps que les soldats le désigne du doigt «C'est toi Fournier qu'on appelle» Troublé ce gamin âgé de  15 ans répond:«Nicht!». On lui enfile le blouson, il est vraiment trop grand , ce n'est donc pas le sien. De rage , l'officier le frappe à coups de poing et de crosse. De cette terrible aventure le petit Michel gardera jusqu'à la fin de sa vie le surnom de Nicht Pendant environ deux longues heures, toujours alignés contre le mur, les enfants et adolescents subiront de violentes  invectives en allemand mais d’où domine plusieurs fois le mot « terroriste». Les bras fatigués se relâchent peu à peu et Jean réalise soudain qu’il a conservé, dans la poche de sa blouse, un tract incitant la population à fêter le 11 novembre.  Un souvenir de ceux qu’il a distribués le mois précédant dans les boites à lettres de son quartier. Il réussit à le mâcher  et à l’avaler rapidement.
Bien que menacé par un revolver, le principal fournit des extraits de naissance afin de justifier l’âge de certains élèves de moins de 18 ans, plutôt grands pour leur âge. Son attitude courageuse n’empêchera pas la formation d’un cortège composé de 3 professeurs, du moniteur d’éducation physique, 2 répétiteurs, 2 maîtres d’internat, le concierge et 12 élèves. Ce triste défilé, fort bien encadré, fut entraîné à l’extérieur. Jean passe devant sa maison et a le temps de jeter un coup d’œil à l’horloge de l’église qui indiquait midi 20. Sur les trottoirs, , les familles retenues par les soldats étaient impuissantes et éplorées. Certains élèves, filles et garçons, en larmes, bravant les S.S. accompagnaient leurs camarades. Une fois arrivés en gare, les collégiens sont parqués derrière des barrières avec les autres prisonniers. Leurs familles essayent de leur lancer des paquets confectionnés à la hâte. Jean reçoit de sa mère un sac contenant un manteau et des gants blancs qu’elle avait tricotés.
N’étant pas originaire de Nantua, Maurice Grégoire est persuadé qu’il serait relâché après les derniers contrôles.  Odette réussit à lui faire parvenir sa carte d’identité. Hélas sur ses papiers, il était domicilié à Nantua. 
Puis, aux environs de 16 heures, ce fut l’embarquement dans les wagons à bestiaux et le départ vers l’inconnu. Malgré le manque d’espace, tous étaient résignés et gardaient même l’espoir d’être libérés très bientôt!
A Bourg en Bresse, la nuit tombe. Les 150 otages sont conduits dans un hôtel proche de la gare et entassés dans une petite pièce. Après un ultime contrôle, un interrogatoire succinct, il n’y  eut aucune libération. Une longue attente commença, partagée entre optimisme et angoisse.  Vers minuit, des dames de la Croix Rouge, distribuèrent un morceau de pain, un peu de gruyère et une boîte de sardines en précisant: «C’est pour 2 et c’est pour un long voyage.»  Les collégiens affamés entamèrent leurs provisions.  Marc ouvrit la boîte de sardines d’un coup de talon.
Soudain dans la nuit glaciale et noire, des cris et sous la lumière de projecteurs, les otages sont conduits à la gare et de nouveau enfermés dans des wagons à bestiaux. Séparés de certains de leurs bons camarades, Marc et Jean se retrouvent dans le même wagon que leur moniteur de gymnastique, le sportif Louis, l’abbé Gay et des commerçants de la ville . Une fois la porte fermée, ils entonnent «Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine», ce qui fit rouvrir la porte et recevoir quelques coups de crosse distribués à la volée puis le train démarre, tiré par une poussive locomotive à vapeur. Un des otages avait réussi à conserver un opinel dont la lame fut cassée entre les lattes du plancher. Avec ce tourne vis improvisé, les adolescents décident de dévisser les cornières de fer qui condamnaient la lucarne du wagon, ce qui leur prit beaucoup de temps. Un coup d’œil jeté par cette ouverture permit de voir que des hommes sautaient du wagon d’à côté. Ne connaissant pas l’existence des camps de concentration et pensant être internés dans un camp de travail, les adolescents n’avaient pas envie de servir l’Allemagne et surtout se disaient vouloir jouer un bon tour à l’occupant en s’évadant. Par contre les plus âgés appréhendaient cette décision.
Jean, hardi et sportif attendit que le train aborde une côte. Il s’engagea alors par la fenêtre et, suspendu d’une main, sa blouse d’écolier au vent, il essaya de l’autre main d’ouvrir la porte du wagon. N’y arrivant pas, il rentra de nouveau par la lucarne. Après  avoir enfilé son manteau bleu marine et ses gants, il reçut les conseils du moniteur de gymnastique afin de s’extirper le mieux possible et de faire un roulé boulé sur le ballast. Jean sort une seconde fois après avoir été béni par l’abbé qui décide de rester avec ceux qui n’oseront pas sauter.  Après une nouvelle acrobatie, Jean se retrouve sur les tampons et, constatant qu’il n’y avait pas de sentinelle sur le toit, il exécute ce fameux roulé boulé et se retrouve dans les ronces, assourdi par le bruit saccadé des roues qui s’éloignent. Puis peu à peu le dernier lumignon du train s’éloigne, c’est le silence. Il s’écrie: «Ouf, LIBERTE» Il s’éloigne en courant dans les champs proches et se rend compte qu’il lui manque un gant. Dans l’inconscience de ses 18 ans, il retourne sur les lieux de son évasion et avec joie le retrouve dans les ronces.
Soudain il entend des bruits, des pas, des murmures et après une fuite éperdue se retrouve face à un compagnon de collège et les deux  surveillants.
Pendant ce temps là, dans les wagons les évasions se succèdent. Marc, qui sautera en 6ème position, raconte que, lorsque vint le tour de Louis, il fallut toute la force du boucher de la ville pour aider notre héros qui, depuis ses exploits avait pris de l’embonpoint. C’est en pétrissant tous les bourrelets ventraux de son copain que le boucher réussit à le faire sortir. Il en gardera des bleus pendant longtemps. Jean, Marc, Louis feront partie de la trentaine de personnes ayant réussi leur évasion. Ils ont tous rejoint les maquis de l’Ain.
Pendant ce temps, le principal du collège ignore le sort de ses élèves. Il faut que les collégiens traumatisés se reprennent. Georges, alors en 6ème  racontera: «Au réfectoire, les tables des grands offrent des grands vides…Il y a du rabiot à distribuer et les tranches de pain de ceux qui ne sont pas là sont dévorées par les plus affamés d’entre nous…Par ordre de l’Académie le collège étêté, martyrisé, hébété ferma ses portes et renvoya dans leurs familles, pour des vacances d’hiver prolongées, ce qui restait d’internes. La loge du concierge était vide, notre Thyss, comme on l’appelait, était du voyage lui aussi. En face, le Principal était figé comme au garde-à-vous devant son bureau...»
 Et le train lui continuait sa route. Le 16 décembre, le convoi arrive à Compiègne. Ceux qu’un journal collaborateur a appelés les «terroristes nantuatiens» sont accueillis par un vaste panneau «Soyez les bienvenus». Entassés dans un baraquement, ils se regroupent autour de l’abbé Gay et  retrouvent l’organiste de leur église. Ils réussiront à créer une petite chorale et entonneront parfois de vieilles chansons traditionnelles françaises sous l’œil étonné de leurs gardiens. Le 22 janvier 1944,  le départ est annoncé pour l’Allemagne. Sous la garde des SS et de leurs chiens, les prisonniers sont entassés dans les wagons. Pendant ce long voyage insupportable, certains essayeront de s’évader en profitant des ralentissements et de la nuit. Hélas, cette fois-ci  les allemands ont été plus prévoyants : phares et mitraillettes mettront fin à la moindre escapade. Les catholards vivront l’horreur de Buchenwwald, très unis dans leur désespoir, soutenus par l’abbé Gay qu’ils surnommeront « l’Archange».
Maurice Grégoire fait partie des nantuatiens. Il sera marqué au fer rouge avec le matricule  n° 42917. Son épouse restera à Nantua quelques mois, espérant son retour. Elle recevra l’aide de Madame  Mercier, l’épouse du médecin évoqué plus haut, qui, malgré son chagrin n’abandonnera pas son activité de résistante au service des enfants, en particulier juifs.  Odette Grégoire évoquera souvent cette femme remarquable.
Maurice fera un bout de chemin avec l’abbé Gay. Le 22 février 1944 c’est dans le même train qu’ils seront transférés à Flossenbürg. Situé à 1400m d’altitude, non loin de Baireuth, capitale bavaroise de la musique, ce camp est un vaste cratère où sont entassés 6 000 détenus et où les déportés côtoient des  allemands: prisonniers de droit commun, assassins, bandits de toute sorte. Les français subissent de nombreux sévices des gardiens Les facultés de résistance sont vite épuisées. Le 22 mars, l’Abbé Gay et 7 nantuatiens seront transférés à Hradischko en Tchécoslovaquie. Maurice ne fera pas partie de ce nouveau convoi et décèdera le 21 juin 1944.
Le 11 avril 1945, l’Abbé Gay sera fusillé en Tchécoslovaquie et aucun de ces 7 compatriotes ne reviendra de ce camp. Par contre un témoin impressionné par cet homme au cœur d’or qui, paraît-il, a surpris quelques SS par son attitude exemplaire,  rapportera quelques cendres du prêtre recueillies après que son corps numéroté à l’aniline fut brûlé. Ces cendres reposent dans l’église de Nantua. Une stèle de marbre rend hommage à l’aumônier du collège.
Et pendant ce temps là, Jean et Marc poursuivront leurs activités dans les maquis de l’Ain, participant à quelques actions importantes où ils firent preuve de beaucoup de courage encadrés par de vaillants soldats de l’ombre.
A la libération, ils reprirent chacun le chemin que le destin leur traçait.
Jean qui était surnommé John par ses copains, mériterait certainement le titre d’aventurier, de baroudeur à la vue de ce qu’il va vivre après cette  épopée. Lorsqu’il retrouve enfin ses parents, il part à Agadir où son père est avocat au Consulat. Il reprend ses études afin de passer son baccalauréat et  grâce à ses talents de sportif, il est aussi maître nageur à la piscine de la ville. Un jour, il est sollicité par une élégante jeune maman qui souhaite que son enfant apprenne à nager. L’enfant ne se débrouille pas trop mal. Jean lui faisait  traverser le bassin sous l’œil charmeur de sa mère qui l’invitait souvent à participer à des soirées mondaines dans sa luxueuse villa. Jean ignorait que cet élève ferait un jour la une de la presse internationale. Il avait pour prénom Dominique et deviendra  plus tard D.S.K. Puis devenu instituteur, Jean part au Cambodge, rencontre sa future épouse, professeur agrégée de géographie qui le pousse à reprendre des études. Devenu professeur de français à Phnom Penh, il est nommé par le prince   Sihanouk, entraîneur et sélectionneur de l’équipe nationale qui participera à de grandes manifestations asiatiques. Puis, il  obtiendra un poste de professeur au Congo. Il fera construire un collège en brousse et finira sa carrière en Haute Savoie où il demeure toujours.
Marc entrera aussi dans l’enseignement et deviendra directeur d’établissements scolaires médicalisés à Hyères où il vivra plus sereinement que son copain John et où il coule une heureuse retraite.
Quant à Odette Grégoire,  elle rejoindra ses parents qui furent au début des années 50 gardiens du musée Jean Aicard de Solliès-Ville. Monique, sa fille grandit dans le jardin de l’Oustaou de Maurin des Maures et épousa M. Confortini de Toulon. Puis Odette devint à son tour la gardienne  des lieux. Lorsque Jean venait chez nous, elle ne manquait pas de lui rendre visite à la recherche du moindre indice qui aurait pu lui apporter des renseignements sur la fin de vie de son époux. Hélas, habitant depuis peu à Nantua, personne ne le connaissait et Jean et ses compagnons d’infortune n'ont jamais pu apporter une réponse à ses questions. Elle décédera accidentellement dans les rues de notre village qu’elle a tant aimé. Sa fille Monique la rejoindra, hélas bien trop tôt.
Elle n’a jamais voulu retourner à Nantua. A sa demande, nous nous sommes chargés de faire des photos du monument des déportés de l’Ain qui a été érigé au bord du lac. Le nom de Maurice Grégoire figure parmi 1400  autres noms dont les 44 des enfants d'Izieu déportés en avril 1944,  à 90 kilomètres de Nantua.  Inauguré en 1949, cette œuvre du sculpteur Louis Leygues, ancien déporté,  représente le corps amaigri d’un homme aux pieds et aux mains disproportionnés symbolisant la souffrance. Un bloc énorme, posé sur quatre piliers semble écraser cette statue  mais une ouverture au centre laisse pénétrer la lumière qui éclaire le gisant et lui permet de voir le ciel signe d’espoir et de liberté.
Cette tragique épopée qui a eu lieu il y a 70 ans  a fait  l’objet , le 14 décembre 2013,  d’un grand rassemblement à Nantua. Les enseignants du collège, devenu lycée, ont souhaité associer les élèves de terminales à cet anniversaire. Ils ont travaillé avec leur professeur d’histoire, interrogé les derniers témoins Jean et Marc et des résistants, réalisé un film mémoire et une fresque sur de vastes baies vitrées avec l’aide d’un plasticien.  Ils ont aussi parcouru en train le chemin  pris par le convoi de Nantua à Buchenwald en passant par Bourg en Bresse et Compiègne grâce à notre association des Anciens du Collège. 
Un superbe devoir de mémoire qui a été présenté et inauguré ce samedi 14 décembre en hommage aux 116 déportés dont 97 qui ne sont pas revenus et aux 34 évadés.
Deux générations séparent ces jeunes lycéens  des témoins de l’époque. J’ai fait partie de celle qui, 13 ans après cette rafle, a franchi le seuil du vieux collège. La plupart de mes camarades , filles et garçons, trop jeunes n'avaient que peu  connu leurs pères partis trop tôt : déportés, torturés fusillés. Certaines  mères avaient été violées. Nous vivions dans une ambiance encore marquée par ces souvenirs douloureux. Le 14 décembre était un jour particulièrement pénible. Réunis sous le porche, nous assistions à un dépôt de gerbe portée par des camarades orphelins, sous les yeux embués des professeurs qui avaient vécu cette tragédie. Le froid de décembre et le silence étaient pesants et j’en garde une émotion profonde.

Monique Broussais Décembre 2013.

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