dimanche 14 février 2016

LES ANNAMITES 3

Il était pratiquement impossible pour des raisons techniques de publier ce travail dans un seul message. J'ai donc pris le parti de vous le livrer en feuilleton jours après jours. Si vous le prenez en route, n'oubliez pas le principe d'un blog : c'est celui d'un journal. Le  dernier est au-dessus de la pile !


                                         Un recrutement laborieux

     Mais l'enrôlement ne se fait pas aussi facilement que le prévoyait Paris. Dans les populations indigènes l'idée d'aller défendre la patrie en danger n'allait pas de soit et devait leur paraitre bien abstraite, en d'autres termes ils ne se sentaient pas concernés, d'autant qu'il leur fallait abandonner famille, champs, village pour une guerre qui se déroulait à l'autre bout du monde à des milliers de kilomètres de chez eux. Il y avait bien l'attrait de la prime d'engagement et de la solde, mais cette perspective ne pouvait séduire que les plus déshérités d'entre eux. Sur place les gouverneurs et administrateurs coloniaux ont les plus grandes difficultés à remplir leurs objectifs, du moins à partir de la fin1915. En témoigne le contenu de ce télégramme adressé par un administrateur de province à Saigon, qui signale qu'il a fait procéder au regroupement de 400 indigènes d’où la nécessité de construire un camp de paillotte pour les abriter et les mettre à l'abri des "influences malsaines" (Entendre les contacts avec des personnes les incitant à la désertion). Ailleurs on signale que des autorités locales (chefs de villages, fonctionnaires de brousse…) avaient pris d'office des hommes et que devant les protestations virulentes des populations, certains avaient dû être relâchés. Parfois ont


lieu des arrestations en masse, de véritables rafles qui provoquent ensuite à la moindre alerte la fuite des villageois dans la forêt déclenchant de véritables chasse à l'homme. C'est ainsi que l'administrateur de Baclieu a pu écrire dans un rapport en mars 1916 : "(…) seuls s'engagent les gens sans ressources aucune. Si à ce jour le recrutement volontaire n'à pas donné les résultats que l'on pouvait espérer en haut lieu, il a cependant été l'occasion d'une excellente opération de police. Les grands marchés de province ont été purgés d'un certain nombre d'indésirables."
     Il faut savoir que la "pacification" était très récente et que dans les populations le fait colonial n'était pas vraiment accepté, que la soumission aux conquérants était loin d'être acquise. L'avenir le prouvera.
     Nous n'entrerons pas dans le détail des systèmes d'enrôlement car ils dépassent le cadre de cet article. Retenons seulement que l'administration de Saigon afin de remplir ses objectifs s'appuiera sur l'ensemble des échelons locaux, indigènes ou coloniaux, civils et militaires.

                                       Un voyage long et périlleux 

     Les hommes étaient embarqués en direction de l'Europe pour un interminable voyage de 1 à 2 mois, souvent à bord navires prévu pour le transport des marchandises et non adaptés aux transports de troupes. Entassés dans des conditions inimaginables.
Fréquemment des maladies infectieuses liées à l'absence d'hygiène et à l'entassement se déclenchaient à bord avec un taux de mortalité non négligeable.


     Arrivés à Marseille, "volontaires" et "involontaires" sont dirigés en fonction de leurs affectations soit vers les casernes pour y recevoir si ne l'avaient déjà une instruction militaire soit vers les usines d'armement comme ouvriers non qualifiés.
     Ces affectations obéissaient à des règles extrêmement complexes car il fallait tenir compte d'un grand nombre de facteurs qui rendait la chose plus compliqué que pour les métropolitains, disparité linguistique et culturelle mais aussi… physique et morale. En effet, tenant compte des classifications de l'époque et de la politiques dite des "races" en vigueur. On classe ces soldats et travailleurs des colonies en fonction de leurs aptitudes ethniques. "Les noirs sont forts, résistants, courageux donc aptes au combat. Les vietnamiens de petite taille, malingres, craintifs formaient les Bataillons

d'Etape, troupes armées de pelles et de pioches pour creuser les tranchées et "nettoyer" ces dernières après les assauts. Un assez grand nombre furent également utilisés comme infirmiers-brancardiers, chauffeurs d'ambulances, car ils surent se montrer aptes aux apprentissages liés à ces fonctions. Ils constitueront quinze bataillons dont certains seront combattants et s'illustrerons au Chemin des Dames et plus tard sur le front d'Orient en Macédoine.
     Une autre raison que leur inaptitude au combat, non dite celle-là. On les regardait avec méfiance. Ne redoutait-on pas qu'ils se mutinent et retournent leurs armes contre leurs officiers ? D'autant qu'à partir de 1915 il y avait eu des précédents dans certains corps d'armées. 
     Ces soldats ne sont pas à confondre avec les tirailleurs tonkinois constitués avant guerre et


bénéficiant d'un grand prestige. N'avaient-ils pas défilés à Longchamp le 14 juillet 1913 connaissant un grand succès ? Certains d’entre eux ont d’ailleurs la nationalité française et font partie des très rares Vietnamiens qui deviennent officiers, tel le capitaine d’aviation Dô Huu Vi, mort pour la France au champ d’honneur en 1916. Ils constituent quatre bataillons.


Prochain épisode: Au travail !

ann

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