lundi 15 février 2016

LES ANNAMITES 4

Il était pratiquement impossible pour des raisons techniques de publier ce travail dans un seul message. J'ai donc pris le parti de vous le livrer en feuilleton jours après jours. Si vous le prenez en route, n'oubliez pas le principe d'un blog : c'est celui d'un journal. Le dernier est au-dessus de la pile !
                                                

                                                         Au travail !

     Les travailleurs sont affectés dans les arsenaux, poudreries et autres usines d’armement. Certains seront parfois mis à la disposition d'autres types d'entreprises voire d'exploitations agricoles pour remplacer les hommes mobilisés.


De façon à augmenter la productivité et à s'adapter aux capacités d'une main-d'œuvre non qualifiée, le système industriel français, comme partout en Europe d'ailleurs, adopte le taylorisme dont l'illustration la plus parfaite est dans "Les temps modernes" le film de Charlie Chaplin. Travail à la chaine, gestes répétitifs et cadences rapides. On peut imaginer le traumatisme ressenti par ces hommes issus de milieux ruraux, habitués certes aux travaux durs et aux longues heures de labeurs mais sur des rythmes et dans des conditions totalement différentes. Pourtant ils sauront s'adapter et faire preuve de capacités d'apprentissage qui surprendront. Une autre donnée à prendre en compte : le facteur climatique. Venus de zones tropicales, nos annamites doivent faire face à des hivers froids dont ils n'ont pas l'habitude. En Provence et proche de la mer, bien sur ce sera plus aisé que dans des régions septentrionales de l'Est ou fortement soumises au Mistral en hiver par exemple. Ils doivent s'acclimater. Ils ne savent pas se protéger du froid, ne supportent que difficilement les chaussures et les effets européens. Ces problèmes liés à la transplantation ne sont pas sans conséquences sur l'état de santé de ces contingents dont les morbidité/mortalité seront supérieure aux moyennes des d'autres hommes soumis aux mêmes conditions. Ils devront également s'adapter à une nouvelle forme d'alimentation. Le dépaysement est total.


     Les ouvriers coloniaux seront voisins d'atelier et de chaine d'autres travailleurs, français non mobilisables, et la main-d'œuvre féminine dont l'importance sera croissante, ainsi que des travailleurs étrangers issus des pays neutres (Italiens, polonais, chinois…).
     La situation des uns et des autres sera très différente suivant leur origine. Si les étrangers européens disposent d’une relative liberté, il n'en va pas de même pour les "exotiques" et plus particulièrement ceux issus de l'Empire considérés comme "indésirables" (Eux qu'on a fait le plus souvent venir de force !) et "inadaptables". Ce sont les vocables employés officiellement. Le statut des colonies qui les régissent, les dépossèdent de toutes les libertés fondamentales par l’introduction en France d’une « politique des races » jusqu’alors mise en œuvre à peu près exclusivement dans les colonies. Militarisation, c'est-à-dire que bien que n'étant pas soldats, ils étaient soumis au régime militaire. Relevant du ministère de la guerre tandis que leurs homologues "blancs" eux dépendaient


du ministère du travail. Encadrés par des officiers et sous officiers coloniaux, ils doivent se conformer à la discipline militaire. Contrôle du quotidien, logement dans des dépôts, appel etc... De très nombreuses instructions officielles rappellent ainsi qu’ils doivent être groupés en fonction de leur origine tant sur les lieux de travail que dans les cantonnements, censure postale, éloignement des populations civiles. Les méthodes employées pourtant alertent en haut lieu, au point que parfois de directives et de notes tentent de ramener des pratiques par trop "coloniales" à la "norme" européenne. Rappel par circulaires et notes de service de l'interdiction des punitions corporelles, des brimades. À noter que les chinois bien que tous travailleurs volontaires et non requis sont quasiment logés à la même enseigne.

     Une chose inquiète les autorités françaises, ce sont les rapports entre les coloniaux et les femmes françaises. Dès 1916-1917, l’encadrement déplore par exemple les unions avec les Indochinois.
"Ces unions entre françaises et coloniaux sont fortement déconseillées en raison d’abord du tabou que constituent les relations sexuelles entre des femmes blanches et des hommes de couleur perçus comme des êtres inférieurs, mais aussi à cause des problèmes juridiques qui en découlent : une Française qui épouse un étranger ou un ouvrier colonial perd alors sa nationalité et se pose en outre le problème du statut des enfants issus de ces unions (quel statut leur donner ? Quelle solution juridique pour ce type de métissage ?). L’union entre une Française et un colonial représente enfin une puissante subversion symbolique de la domination coloniale." (3)


     À chacun ses soucis ! La présence de ces travailleurs inquiète les ouvriers français et leurs syndicats. En effet ils y voient là une forme de concurrence déloyale.  Force est d'admettre que les conditions d'emploi et de rémunération ne sont pas identiques et que les employeurs apprécient assez cette main d'œuvre docile et peu couteuse. Des conflits surgissent. Des altercations et rixes se produisent particulièrement après 1917. Afin de palier à ces inconvénients une solution : le confinement. Garantissant le moins de contact possible avec la population comme nous l'avons vu.

(3) Document Musée de l'histoire de l'immigration : L’appel aux travailleurs étrangers, coloniaux et chinois pendant la Grande Guerre. Laurent Dornel.


Prochain épisode: Et dans le Var ? À La Londe ?
ann

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