samedi 4 février 2017

LA PRISE DE LA SMALAH D'ABDELKADER PAR HORACE VERNET 3/4



                                                                                      Une toile géante et complexe





Nous l'avons vu, 21 m de large sur 5 m de haut. 105 m² ! Si d'ordinaire la contemplation ou l'examen d'une toile demande un peu de recul, ici la chose est impossible. On considère habituellement que le recul nécessaire est de deux fois la largeur de l'œuvre. Il nous faudra donc nous placer approximativement à 40 m. il vous faudra par conséquent percer le mur opposé ( demandez tout de même l'autorisation avant ) et de toute manière vous serez alors trop éloigné pour distinguer le moindre détail. Et des détails il en fourmille ! Nous avons affaire à un immense panorama. C'est une vue en super cinémascope. Mais dans sa composition le peintre a évité l'écueil de raconter l'histoire. C'est un instantané. Un simultané des l'actions de guerre.

Je vous en propose une lecture de gauche à droite, sauf si votre système de lecture vous a habitué à l'inverse, ce qui ne serait pas incohérent, je vous laisse deviner pourquoi.
Approchons nous.


Nous sommes à la périphérie de la smala on reconnait les uniformes des chasseurs d'Afrique. Dolman bleu à brandebourgs et pantalons rouges. Les chasseurs chargent sabre au clair. Les arabes surpris tentent de se saisir de leurs fusils. Au premier plan, une tente bousculée, un chien qui fuit immédiatement à droite, le Colonel Morris (5) est menacé par un défenseur qui le met en joue. Il riposte avec un pistolet en même temps qu'un autre officier, le Capitaine Dupin, vient à son secours et le sauve. Effondrement des tentes qui laissent entrevoir des bagages ou des trésors ?


Déplaçons-nous un peu vers la droite, après avoir vu la charge des chasseurs, en arrière plan nous distinguons des rangées de cavaliers sans doute en réserve. Des gendarmes au vu de leurs pantalons bleus ou blancs ou les spahis de Joseph Vanini dit Colonel Youssouf, les sources divergent. Devant, de profil, le Capitaine Durrieu.  Déplaçons-nous encore un peu.


Au premier plan sous une tente effondrée qu'un homme essaye de retenir (un serviteur vu son costume?) . Un vieillard tend les bras. Cherche-il à se relever ou appelle-t-il à l'aide? C'est Sid-el-Haradj un marabout important. C'est lui qui proclama Abdelkader "émir des croyants". Il est aveugle.
Des femmes fuient.  Des gazelles apprivoisées. En arrière plan: le duc D'Aumale, reconnaissable à son cheval blanc arrête du geste ses hommes pour accorder la vie sauve à des femmes qui se jettent à ses pieds. L'une elles est la fille de Sidi-Embarak  commandant de la smala en l'absence d'Abdelkader. À ses côté, les Capitaines De Beaufort et Marguerat le Commandant Jamin  et son interprète porte-drapeau indigène Urbain. À droite on aperçoit la charge des chasseurs. Au loin, les tentes blanches de l'émir. On approche du centre du campement.


Scène de panique. Au premier plan, un troupeau de bovins, chèvres, moutons et dromadaires renversent tout sur leur passage. Une femme est écrasée avec son enfant tandis qu'un juif s'échappe en emportant ses richesses (6). Quels sont les rapports entre les trois personnages?  La famille de celui-ci ? En arrière plan, un groupe de soldats de l'émir résistent à l'assaut, tandis que d'autres se débandent. Précisions topographiques que Vernet a observées sur les lieux-mêmes. On aperçoit au lointain un ruisseau et les ruines d'un fortin turc. À l'horizon les montagnes. Le peintre a placé l'action dans son paysage exact. (7)

 Le paysage actuel









Plus à droite, trois dromadaires bâtés. L'un est renversé. Ils sont prêts à emporter les femmes de Ben-Kharouby, Chambellan et Premier Secrétaire de l'émir. Concession à un orientalisme de pacotille elles sont moitié nues, ce qui n'est pas réaliste dans ces lieux.



Des serviteurs lui apportent des armes tandis qu'on lui approche un cheval.



À leurs pieds, une esclave noire et une gazelle.

 (5) On me pardonnera certaines inexactitudes et imprécisions dans l'attribution des grades des officiers et de leur positions dans le combat, les sources interrogées étant parfois contradictoires mais pas forcement fausses, les grades évoluant, on parle bien du même personnage, mais à des périodes différentes.
(6) L'homme est identifiable à sa tenue, son faciès et attitude. On est ici dans la caricature. Doit-on y voir une marque d'antisémitisme ? Ce ne serait pas extraordinaire dans le contexte de l'époque.
(7) Voici ce qu' Eugène Fromentin, de passage le 26 mai 1853 écrit à son propos dans " un été au Sahara ".
" C'est un petit village entièrement arabe, cramponné sur le dos d'un mamelon soleilleux et toujours aride : il se fait face avec Boghar à trois-quarts de lieue de distance, séparés seulement par le Chélif et une étroite vallée sans arbre. Je ne connaissais rien de pareil et d'aussi complètement fauve, et disons le mot qui me coûte à dire, d'aussi jaune… Le village est blanc, veiné de brun, veiné de lilas…Hormis deux ou trois figuiers et autant de lentisques, il n'y a rien qui ressemble à un arbre, pas même à de l'herbe… Tu sauras que ce village qui sert de comptoir et d'entrepôt aux nomades, est peuplé de jolies femmes venues pour la plupart de tribus sahariennes Ouled Naïl où les mœurs sont faciles ".

Dernier épisode demain: Une commande d'état


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