jeudi 9 mars 2017

La tournée du facteur Mireur (2/5)

Brave type, il prêtait ses yeux aux vieux qui n’en avaient plus guère, sa main à ceux qui tremblaient, sa tête à ceux qui la perdaient, sa science à ceux qui l’ignoraient, sa jovialité à ceux qui se repliaient. « Bon-jour ! Coume vai dins l’oustaou ? » criait-il à la cantonade en rentrant dans une cuisine où mijotait une daube aromatique. « Chilin-chilin ! Que bon vènt t’adus ? » lui répondait en écho la voix fluette d’une bonne vieille qui rompait sa solitude pour la première fois de la journée. Aux mères fiévreuses ou inquiètes, clouées dans leur foyer, il acheminait sans retard quelques remèdes précieux qu’une trop longue attente aurait rendus inutiles ; pour le sourire des couturières, il se chargeait fidèlement de quelques commissions indispensables pour des boutons perdus ou des chemises à repriser. Aux nistoun curieux, il révélait, sans se faire prier, les secrets des timbres qu’il récupérait ici ou là, leur voyage depuis le pays d’origine, les célébrités qu’ils honoraient, les villes et les monuments qu’ils dessinaient, les lilas-brun, les gris-olive, les lie-de-vin et le tracé savant de leurs fines tailles-douces. Attentif lui-même, il observait sans curiosité malsaine les écritures manuscrites dont il reconnaissait quelquefois les auteurs, celle anguleuse et penchée de M. le Maire, la calligraphie arrondie et à la plume Sergent-Major de l’institutrice, les jambages 


accentués de l’épicier, les majuscules alambiquées d’un notaire. Le plus souvent, entre bons vivants, il partageait la dernière blague inédite à s’estrasser de rires sonores et de tapes amicales sur les cuisses. De plus, pour faire marcher les vieux copains, son talent reconnu n’était jamais en reste de bons mots et de fines galéjades. Fenêtre ouverte au-delà des limites de la commune, sa venue bonhomme trompétait enfin les dernières nouvelles en vogue, les prochaines élections cantonales, la répétitive pénurie d’eau au village, la réfection en cours de la toiture de l’église, la joyeuse noce de la petite Féraud, le Fernand parti pour le Régiment, mille faits divers d’un journal oral très prisé.
On l’aura compris, la casquette des Postes n’était pas la seule que portait ce facteur-là ! Aussi, en retour, les gens n’étaient pas chiches de reconnaissance sincère et de confiance méritée et, s’ils pouvaient faire une bonne manière, c’était sans hésitation et de bon cœur. « Reste donc un peu, le café est chaud ! Avec ce froid, bois de cette bonne soupe, elle fait l’homme ! J’ai des fèves du jardin, tu en veux ? Et un tian de fricot d’agneau ? Il est pas loin de midi, mange un bout avec nous ! » sollicitaient les braves femmes en se séchant vigoureusement les mains à leur blouse afin de ne point maculer le courrier remis sans façon. De leur côté, les causettes masculines portaient principalement sur la chasse ; des exploits cynégétiques enjolivés ou des rentrées bredouilles furtives lors de battues ou en solitaire au poste étaient loués ou raillés avec des mimiques de cassaïré avertis. On en conviendra, entre hommes, un sujet aussi sérieux et inévitable fait boire, c’est bien connu, surtout s’il est accompagné de deux rondelles de saucisson, d’une poignée d’olives ou d’une belle cebo assaisonnée d’un pessu de sel, le tout avec une michette de pain croustillant que l’on rompt à la main. « Un chicouloun de vin, à la bono franqueto ? Vai bèn ! Un rasin à l’aigo-ardènt ? Gramaci ! Un founs de Pernod ? Voulountié ! » Offensant de refuser, vous pensez bien ! Jeune recruté, quatre décennies auparavant, il lui tardait d’achever sa tournée, de rentrer chez lui dare-dare ou de pointer quelques boules sur la place Saint Sébastien, mais très vite ses visites s’étaient prolongées, certes pour contenter les besoins des indigènes devenus des familiers mais aussi pour goûter à ce temps qui s’arrête dans l’amitié des rencontres et des passages obligés au fond des verres. Ainsi, les « entre deux portes » du début de carrière s’étaient mués rondement en épisodes intenses, chaleureux et désirés, à l’aune de la vie rurale où les heures ne comptent pas.

« Bon-jour ! Coume vai dins l’oustaou ? » : « Bonjour ! Comment ça va dans la maison ! »
« Chilin-chilin ! Que bon vènt t’adus ? » : « Tout doucement ! Quel bon vent t’amène ! »
nistoun : enfant, gamin
s’estrasser : se déchirer 
cassaïré : chasseurs
une belle cebo avec un pessu de sel : un bel oignon avec une pincée de sel
« Un chicouloun de vin, à la bono franqueto ? Vai bèn ! Un rasin à l’aigo-ardènt ? Gramaci ! Un founs de Pernod ? Voulountié ! » : « Un petit coup de vin, à la bonne franquette ? Parfait ! Un raisin à l’eau de vie ? Grand merci ! Un fond de Pernod ? Volontiers ! »


Suite dès demain matin où nous verrons que la marche à pied déshydrate et les moyens d'y remédier.

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