Le BLOG de l'association ALPHA (Action Londaise pour le Patrimoine l'Histoire et l'Archéologie)
samedi 11 mars 2017
La tournée du facteur Mireur (4/5)
Le torse trapu sur des guibolles arquées qui lui donnaient une silhouette comique, le ventre débordant par-dessus une ceinture fantomatique, une bonne bouille ronde aux tons de monnaie de cuivre, le bonhomme s’avança, jovial, vers son copain d’enfance.
- « Touco un pau la paleto, Léon. As pas trop l’èr gaiard ?
- J’ai lis agassin tout gonflés à force de cavaler la colline ! Siéu ensucat pèr lou soulèu, sabes ! Tu, siés fres coume un barbèu !
- Verai, moun Diéu, vous rènde gràci ! »
Jugeant que les conciliabules se passaient mieux dans le secret de l’intérieur plutôt qu’aux quatre vents (sans doute un douloureux reliquat des méfiances de la guerre), Momo pour les intimes invita son visiteur à pénétrer dans son modeste mas.
- « Zóu, rentrons boire un coup ! »
Obéissant volontiers à cet ordre péremptoire et pour tout dire espéré, Léon suivit militairement son hôte dans une cuisine dont les volets mi-clos gardaient la pièce fraîche pendant la grosse chaleur diurne. Ils s’installèrent face à face comme des comploteurs devant une modeste table en pin où trônait une agréable gargoulette. Maurice ne fut pas long à sortir deux verres ordinaires qu’il remplit prestement d’un nectar rubis de derrière les fagots qui faisait saliver par avance le deux acolytes en manque. Ils burent religieusement après avoir humé consciencieusement les arômes de fruits rouges de ce vin nouveau.
- « Ça, c’est du bon ! Il est frais et léger comme une caresse de femme, jugea Léon en faisant claquer sa langue. A propos de femme, poursuivit-il en clignant d’un œil de connaisseur, j’ai quaucarèn pour toi ! »
Joignant le geste à la parole après avoir farfouillé dans sa sacoche, le facteur, un sourire convenu au bord des lèvres, tendit à son ami une enveloppe sur laquelle trois lettres étaient imprimées dans un coin : E d F. Intrigué par les paroles sibyllines et l’air de deux airs du préposé, Maurice la saisit et lut à haute voix en interrogeant du regard son compagnon devenu sérieux comme un pape :
- « E d F ? Qu’es acò ? Quelle femme ? Suis pas au jus !
- Que tu crois, cachottier ! Mazette, tu ne t’embêtes pas ! E d F ! Voyons, E d F…Etude de Femmes pour sûr et par correspondance ! Ne me la fais pas ! En somme, les Postes t’apportent des nouvelles de ta dulcinée et moi, bonasse, je suis l’entremetteur de service par-dessus le marché ! Alors pas de comédie ! Parle ! Elle est du pays ? Elle est jolie ? »
Sur ces questions insolubles et ces affirmations dénuées de peut-être, Maurice resta pantois, les yeux ronds, les bras ballants, raide comme une estocofich, ne sachant quelle tuile lui tombait dessus. Il n’avait jamais reçu un courrier aussi extravagant. En vieux garçon, les femmes n’étaient selon lui qu’embêtements et compagnie, promptes à agacer une vie bien réglée qu’il s’évertuait pour sa part à ne point bousculer. De plus belle, Léon, ravi en douce de l’embarras du bonhomme, insista lourdement, le diable étant dans les détails, en esquissant de ses mains d’honnête homme les mamelons d’une poitrine plantureuse, puis il ajouta sur le ton de la confidence : « Elle a ce qu’il faut, au moins ? Une belle brunette, je parie ? » Mettant la main sur son cœur et inclinant la tête affectueusement comme une mère à l’égard de son petit enfant, l’intrigant comédien redoubla de diligence de sa voix la plus persuasive: « A un vieil ami, ta bonne fortune, tu peux la dire sans tracassin ! »
« Touco un pau la paleto, Léon. As pas trop l’èr gaiard ? » : « Touche-moi la main, Léon. Tu n’as pas trop l’air bien portant ? »
lis agassin : les cors au pied et plus généralement les pieds
Siéu ensucat pèr lou soulèu, sabes ! Tu, siés fres coume un barbèu ! : Je suis assommé par le soleil, tu sais ! Toi, tu es frais comme un gardon !
Verai, moun Diéu, vous rènde gràci ! : En effet, grâce à Dieu !
Zóu : Allons
quaucarèn : quelque chose
Qu’es acò ? : qu’est-ce que c’est ?
estocofich : filet de morue salée
Suite dès demain matin où nous verrons où peut conduire l'oisiveté.
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