mercredi 5 juillet 2017

Les Tataragnes 3/5

                                                                                 Récit par Jean- Pierre ORCIER


                                                                                                      Illustration JFG


                                                                            Où l'on apprend une astuce culinaire indispensable





- « Et la jolie Nine, a bèn pita pour le coup du liège ?
- Mignonne, tu l’as dit, mais peuchère, elle a pas inventé la poudre !
- Ni les allumettes pour y mettre le feu !
- Encore moins la malice pour la faire parler !
- Diable ! Innocente comme une première communiante ! A son âge !
- Que tu es brave ! Plutôt une sinistrée de la cabucello ! Es pas finochado pour deux sous ! Tout juste le gàubi pour passer l’escoube ! Et encore !

- Alors le liège ?

- Pour dessaler la soupe, pardi !

- Et ça a marché ?

-Tu parles, comme sur des roulettes !

- Racontez un peu que je me marre ! Les absentes ont toujours tort, pas vrai! 
- Ouvre bien tes esgourdes, ma chérie ! C’était dimanche dernier, Tante Dide avait préparé une soupe au pistou du tonnerre de Dieu comme d’habitude et Nine transpirait à force de pister une brassée de basilic avec un pau d’aiet dans le mortier. Dans la combine avec nous autres, la cuisinière, l’a prise à part, avant de servir, avec mission d’importance de goûter l’assaisonnement de sa popote. Des fois que… !
- Il faut dire qu’en douce de la goûteuse, on s’était trouvé trois ou quatre autour de la marmite et vas-y que de balancer du gros sel dans la louche pleine que Dide lui a tendu l’air de rien.
- Alors, elle a tasté ?
- Tout de go ! Une belle lampée ! Tu aurais vu sa tête ! Une grimace comme si elle avait bu la tasse !
- « Salée ! Trop salée, ta soupe, Dide ! Ça me pique ! », elle a réussi à dire avant de se précipiter vers le robinet pour se rincer la bouche !
- Evidemment, on a toutes feint la surprise en se gardant de la contredire et surtout de tremper les lèvres !
- Sans oublier la figure catastrophée, exprès, de Tante Dide devant le désastre d’une soupe bonne à jeter ! «  Que malur ! Que malur ! Je perds la tête ? Pas possible d’avoir la main lourde à ce point avec la salière ! A moins que ça vienne de la charcutaille et du talon de jambon cru ? », elle s’est imaginée à voix haute en agitant les bras au-dessus de sa tête !
- Il fallait bien trouver un semblant d’explication !
- Et les invités qui s’impatientaient tant l’arôme du balicot leur ouvrait l’appétit ! « Avèn fam ! Avèn fam ! Du pistou ! Du pistou ! »
- Alors, Simone a crié : « Vite ! Du liège ! Du liège ! Nine, va chercher des bouchons ! Tout ce que tu trouves ! Un bon mouloun ! Y a que ça pour dessaler !
- Elle a pas cherché plus loin ! Les jambes plutôt que la cervelle ! Tu l’aurais vu partir en trombe d’une épicerie à l’autre !
- Faire tout le tour du village, courir les ruelles, monter les calades !
- Finalement, - on l’a su plus tard -  tambouriner à la porte de Giraud qui justement faisait sécher ses filets au soleil. Une veine !


- Et alors, elle est revenue avec ce qu’il fallait ?
- Segu ! Un beau flotteur que Dide a baigné de suite dans la gamelle au milieu des légumes, tout en tournant lentement le mélange comme une sorcière sa potion !
- Et après, Nine a regoûté ?
- Faut croire qu’elle a trouvé infaillible ce truc de cordon bleu - vois comme elle est crédule - car elle n’a fait ni une ni deux !


a bèn pita : elle a mordu à l’hameçon ; cabucello : couvercle, par extension, la tête 
Es pas finochado : elle n’est pas finaude ; le gàubi : l’aisance naturelle ; l’escoube : le balai 
esgourdes : oreilles ; pister : broyer, écraser ; un pau d’aiet : un peu d’ail ; tasté : goûté 
Que malur ! : Quel malheur ! ; balicot : basilic ; Avèn fam ! : Nous avons faim ! ; mouloun : tas 
Segu ! : Sûr !


- Tu penses bien que la soupe était au poil depuis le début ! Alors, la fille a soufflé pour refroidir la louchée avant de l’approcher de ses lèvres, puis, encouragée par nos regards qui disaient « vas-y, tu crains rien ! », elle a aspiré le bouillon avant de prendre la mine réjouie de quelqu’un qui se régale et qui a sauvé la situation !
- Au milieu des figures impatientes mais sûres du verdict !
- Et après ?
- On a toutes poussé un ouf de soulagement pour donner le change ! 
- Et vanté hypocritement le prodige du liège et le zèle de la servante par des estrambord exagérés !
- Il restait plus qu’à se mettre enfin à table car l’estomac criait son dû depuis le temps !
- Et fêter chaudement la cuisinière et sa petite main tout en rigolant sous cape !
- D’aparté en aparté, les invités se sont passé le fin mot de l’histoire dans une bonne humeur qui tenait à la fois à la soupe odorante dûment assaisonnée et à la bonne blague !
- Mais aucun n’a vendu la mèche !
- Ce qui fait que Nine croit toujours dur comme fer au pouvoir magique du liège !
- Pécaïré ! »      


Demain nous constaterons une fois de plus que le ridicule ne tue pas et il sera démontré que le service de l'Eglise n'est pas sans dangers.


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