jeudi 6 juillet 2017

Les Tataragnes 4/5







                                                           Récit par Jean- Pierre ORCIER


                                                                                                    Illustration JFG




Où l'on constate une fois de plus que le ridicule ne tue pas et où il est démontré que le service de l'Eglise n'est pas sans dangers 

« - Que je vous raconte ! La De J…, elle m’a fait estrasser l’autre jour bien malgré elle, en sortant de la boucherie ! Une histoire qui fait le tour du village et qui va lui revenir sans ménagement !


- Pourtant pas son genre à cette damote ! Franchement m’as-tu-vu avec ses grands airs !
- A vous regarder de haut comme si elle sortait de la cuisse de Jupiter !
- Toujours à faire les brègues ou à poser, c’est selon, mais faut voir, tirée à quatre épingles comme si elle allait au bal, maquillée comme la reine de Saba et tout et tout !
- Talons hauts pour paraître mince, bracelets métalliques qu’elle agite à la moindre occasion et boucles d’oreilles clinquantes ! Du toc qui en jette ! On peut pas la louper !
- La taille serrée qui la moule !
- Ce parfum capiteux qu’on suit à la trace !
- Au pays des brebis, ça jure !
- Pas moyen de l’appeler par son petit nom comme on fait toutes entre nous au village ; elle, on lui donne du madame ! Elle se moque de corriger, un point, c’est tout ! En plus, forcée de causer, elle prend son accent pointu à la parisienne, les lèvres pincées en cul de poule, histoire de déballer sa différence ! Pas vrai ?
- Moi, ce qui m’épate, c’est sa mise en plis toujours impeccable ! Une coiffure de vedette tout juste sortie d’un salon, d’un blond platine, des boucles romantiques à la Marylin ! Elle doit coucher avec ses bigoudis !



- Ah, oui ! Du volume, encore du volume avec des vagues ondulées qui ne bronchent pas d’un pouce même par Mistral !
- Justement, et c’est là qu’on rigole ! Ecoutez plutôt ! Figurez-vous qu’elle descendait les escaliers de chez Angèle, mes chères, avec les manières d’une meneuse de revue un soir de première, malgré son filet à provisions à la main et bien entendu le regard perché au lieu de regarder ses pieds. Moi, je la croisais à deux pas. Voilà pas qu’elle s’embronche sur une marche, le talon coincé dans un trou de la pierre, perd l’équilibre, plonge en avant et finalement parvient à se raccrocher à mon bras in extrémis. Attendez, le meilleur arrive ! Donc, sa chute brutale s’est arrêtée grâce mes bons offices, mais sa coiffure n’a pas daigné en faire autant. Elle a continué sa course comme un soleil et s’est écrasée platement sur le goudron de la rue !
- Une perruque ! Je l’aurai pas cru ! Elle a dû piquer un de ces phares* ! Et alors ?

estrambord : enthousiasmes ; Pécaïré ! : Pauvrette ! ; estrasser : se tordre…de rire ; brègues : faire la tête
* voulait-elle dire un fard ? On l’excusera car en Provence la tendance est d’accentuer la fin des mots et le phare (la honte) se voit de si loin.

- Oh, fan ! Elle est devenue rouge comme un pebroun, a ramassé sa tignasse emmêlée plus vite qu’il n’en faut pour le dire, l’a fichée de guingois sur sa tête clairsemée - comme le grand pré en plein été - et a tracé sans se retourner, sans même me dire un petit merci !

- Et sûrement toute la rue qui se tordait de rire !

- Tu l’as dit !

- On l’a verra pas de sitôt ! Sûr de sûr ! »

                         
- « Marthe n’est pas là, ça tombe bien ! Il lui en est arrivé une belle à l’église dimanche dernier !
- Ce jour-là, pas le temps d’aller à la messe ! J’étais de cuisine, un aïoli pour quinze, à ma campagne de Saint Jean ! C’est grave ?
- Elle s’est pas cassé une guibole au moins ? J’ai profité que Jean descendait à Fayence avec sa fourgonnette pour faire mes commissions ! Depuis, on s’est pas vu ! J’ai rien su !
- Pour moi, j’ai bien compris qu’il se passait quelque chose mais les travées étaient pleines à craquer et un gros pilier me coupait la vue ! Je peux pas dire !
- Oh ! Rien de méchant au premier abord ! Mais je suis à peu près sûre que le berger a répondu à la bergère et, sans mentir, ça lui a fait les pieds à la Marthe !
- Fais pas tant de mystère ! Alors quoi ?
- Ben voilà, j’étais aux premières loges, sur le côté, près de l’autel. Le Père François venait juste de descendre de sa chaire. Il faut dire que son sermon je l’avais saisi par intermittence car à la longue les discours me font pénéquer malgré toute ma bonne volonté : une histoire de poutre dans l’œil du voisin et de paille dans le sien ou le contraire, je m’embrouille dans ces chinoiseries qui me passent par-dessus la tête !
- Une saleté dans les yeux, c’est mauvais ! Moi, je mets des gouttes !
- Et Marthe dans tout ça ?
- J’y viens, minute ! Bref, tout en entonnant le Credo, les femmes portaient déjà la main dans leur sac, les hommes dans leur poche, signe que les corbeilles de la quête n’allaient pas tarder à circuler d’un banc à un autre. D’ailleurs, le long d’une des allées, Marthe se faufilait déjà de paroissien en paroissienne avec les difficultés que vous savez, vu sa corpulence. Inutile de dire qu’à sa fâcheuse habitude elle ne se privait pas de jeter un regard sévère ou admiratif selon la valeur de l’offrande qui lui tombait sous le nez.
- C’est la vérité ! On a chaque fois l’impression que ce sont ses sous qu’elle encaisse ! Et plus ça tinte, moins elle se montre bourrue !
- Pour le froissement d’un billet, elle se fait même gracieuse, le temps de passer au suivant !
- En revanche, vous voilà prise au dépourvu, sans un sou, la bourse plate ou oubliée, elle vous toise des pieds à la tête, insiste lourdement à vous faire venir la honte et vous risquez au moins l’Inquisition à tendre le bras pour faire comme si !
- Je continue ! Ne me coupez pas à la fin ! Donc, une fois sa tournée faite, il ne lui restait plus qu’à déposer sa corbeille sur la tablette consacrée. A cet instant de la cérémonie, vous pensez bien qu’aux premiers rangs du moins, tout le monde se recueillait profondément avant les préparatifs de la communion. Chacun baissait la tête, fermait les yeux ou se perdait dans ses pensées. Dommage ! Que s’est-il vraiment passé dans le chœur à ce moment-là ? Personne ne peut le dire ! C’est un cliquetis métallique en cascade qui m’a fait lever le nez comme tous les fidèles proches ; le spectacle en valait la chandelle : la corbeille traînait complètement renversée, surtout son contenu s’était éparpillé au petit bonheur sur les dalles et la Marthe, à quatre pattes, son gros derrière en belle mire, s’activait à récupérer sa monnaie au pied du Père François qui s’était retourné vers l’assemblée, les bras écartés, le regard sévère et qui la dominait de toute sa hauteur.
- Tu crois qu’elle a glissé ?
- Ou qu’elle s’est pris le pied dans un tapis ou dans un candélabre ?

Oh, fan ! : diminutif de enfant, interjection pour accentuer son propos 
pebroun : piment, poivron
pénéquer : (francisé) somnoler

- Moi, j’ai ma petite idée…François avait repris son air compatissant, avec un brin de malice dans le sourire, en l’aidant à se relever. Plus de gêne que de mal, il faut le dire ! Mais davantage que des paroles, leurs yeux se sont parlés, leurs regards n’étaient pas muets, je l’imagine bien ; une leçon donnée comme réponse à un coup fourré ! Aussi la pécheresse semblait implorer pardon, non à cause de son étalage maladroit et sans gravité, peut-être pour autre chose …de plus blâmable !
- Ça par exemple ! Une offense qu’elle aurait faite au prêtre et, par suite, un retour de bâton !
Alors, tu penses à quoi ?
- Rappelez-vous qu’elle voulait se plaindre à Monseigneur l’évêque l’autre jour ! Suite au coup dans le nez qu’avait François pour le 15 août ! Pour ses fréquentations douteuses avec les Rouges, les athées ! Que sais-je, moi ? Sûr qu’elle lui a écrit pour de bon et que peut-être le curé s’est fait remonter les bretelles, si on peut dire !
- Moi, je l’aurais jamais fait ! Entre nous, c’est pas des manières ! Au village, on lave son linge sale en famille !
- Et tu crois qu’en se retournant François aurait volontairement aidé la corbeille à voltiger ?
- Œil pour œil, en somme !
- Pourquoi pas ! Il a son caractère, lui aussi !
- Pourtant, c’est un homme bon ! Un geste machinal, des fois, ça arrive !
- Des fois aussi, il faut encourager la Providence ! »

Demain le lecteur sera conforté dans son impression qui si tous n'en souffraient pas, tous étaient atteints et constatera que le jeunesse n'a qu'à bien se tenir.




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